mardi 23 avril 2024

C'est une oxydation, certes, mais enzymatique

Des végétaux qui brunissent quand on les coupe ? Oui, la pomme brunit, ou l'avocat, ou la banane... En réalité, l'effet a lieu avec tous, à des degrés divers, parce que les cellules végétales contiennent des polyphénols, et aussi, dans des compartiments séparés, des enzymes nommées "polyphénol oxydases" (désolé pour le nom, vous avez le choix entre cela ou PPO, ou EC 1.14.18.1). Couper un fruit ou un légume, c'est mélanger les polyphénols et les enzymes, ce qui conduit au brunissement, comme l'observe une correspondante : 

Lorsque je prépare des rushtis ( pomme de terre râpés avec des œufs) très vite ce mélange s'oxyde. Avez vous une idée pour éviter cette couleur peu appétissante ?

Comment prévenir l'effet ? Des embryons de réponse sont donnés par les cuisiniers, qui ajoutent un demi citron dans l'eau de lavage... et j'ai proposé il y a longtemps que les cuisiniers fassent plus raisonnablement usage d'acide ascorbique, parce que ce composé... qui n'est autre que la vitamine C, est efficace. 

Mais j'ai dit ailleurs, également, qu'il y avait des réticences : http://www.agroparistech.fr/Comment-eviter-que-le-jus-de-pomme-ne-brunisse.html Ici, il faudrait s'interroger : pourquoi le public veut-il des vitamines, et les refuse-t-il quand on lui propose d'en ajouter ? Progressivement, je comprends que la question est mal posée : d'une part, il y des personnes qui veulent des vitamines, et d'autres qui pensent qu'avec le régime alimentaire qu'elles ont, elles ne sont pas en carences vitaminiques. D'autre part, il y a des personnes qui refusent des supplémentations en vitamines, et d'autres qui l'acceptent. Et puis, il y a tous ceux qui ne sont pas fixés, ou ne se sont pas posés la question, qui ont besoin d'information... d'où ce blog. Oui, surtout, je crois qu'il faut justement dire que nous (j'avais écrit "le public", mais j'en fais partie) avons besoin d'informations fiables, alors même que les enquêtes récentes montrent que nous ne faisons plus confiance à la presse, ni au politique, ni même aux agences d'état... et ces doutes sont justifiées, car certains nous veulent nous faire tourner en bourrique, à nous faire manger dix fruits et légumes par jour, puis cinq, puis nous mettre des codes couleurs (condamnés justement par l'Académie d'agriculture de France), d'autres condamnent les viandes et les produits transformés à partir des viandes... en se fondant sur des chiffres de consommation des Américains, où, quand même, la prévalence de l'obésité est sans commune mesure. 

L'information essentielle, dans le cas qui nous intéresse ? La vitamine C est efficace pour bloquer la réaction de brunissement, et qui est d'ailleurs une réaction qui ne produit pas de nutriments favorables à la santé. Une vitamine bénéfique, donc, que l'industrie alimentaire utilise avec le nom de code E.300, imposé par la réglementation européenne. Et là, j'arrive sur un terrain miné, parce que, en écrivant que la vitamine C est efficace contre le brunissement, je pressens que certains vont penser que je suis "vendu" à l'industrie alimentaire, ou à l'industrie des additifs. Il y a des choses que l'on ne peut pas dire, politiquement incorrectes... mais quand elles sont justes, comment faire ? Ne pas donner de conseil, mais donner des faits ! Et c'est un fait que si les jus d'agrumes ne brunissent pas, c'est parce qu'ils contiennent beaucoup de vitamine C. C'est un fait que la vitamine C de synthèse est en tout points identiques à la vitamine C des fruits et légumes. C'est un fait que de la vitamine C que l'on ajoute à des préparations prévient le brunissement. C'est un fait que l'on ne risque rien à consommer trop de vitamine C (on pisse la vitamine C en excès). C'est un fait que prendre un citron pour prévenir le brunissement est à la fois économiquement, écologiquement et gustativement douteux : cela coûte un citron, qu'il aura fallu payer, qu'il aura fallu faire venir de loin, et qui donnera un goût de citron qui n'aura pas été souhaité. 

Bref, ayons de la vitamine C dans nos cuisines, à côté des épices, du sel, de l'huile, du vinaigre, du sucre...

La culture est une chance

 

Hier, alors que je faisais partie d'un jury de concours pour une grande école, j'ai mieux mesurer la chance inouïe que j'avais eu d'avoir été le fils de celui qui fut cet extraordinaire Bernard This (https://sites.google.com/view/bernardthis/accueil).
En effet, pour réussir dans une telle école, il faut se dépenser sans compter pour les matières théoriques qui sont enseignées. Mais pour se dépenser sans compter, il faut en avoir le goût.  C'est un peu ce que je cherchais à savoir en  interrogeant les candidats (puisqu'il s'agissait d'un oral de concours) : avaient-ils le goût des choses théoriques ? 

Je leur ai demandé quel était le dernier livre qu'ils avaient lu, le dernier film qu'ils avaient vu, quel objet intellectuel leur semblait merveilleux (j'avais donné des exemples pour ce qui me concerne),  et j'espérais qu'ils me diraient de l'admiration pour des choses intellectuelles.
 

Pour pour ce qui me concerne je me souviens parfaitement des éblouissements que j'ai eu alors que j'étais très enfant : l'eau de chaux qui se trouble quand on souffle dedans, une bougie qui s'éteint quand elle se trouve privée d'oxygène, les phénomènes extraordinaires montrés au Palais de la Découverte, le courant alternatif, le soulèvement considérable d'un fil que l'on met autour de l'équateur de la Terre et qu'on allonge de 20 cm. 
A peine plus tard, j'ai eu entre les mains des ouvrages merveilleux, le Paradoxe sur le comédien, l'Herbe rouge, la Dernière harde... Je dois tout cela à mon père indirectement car quand nous avons déménagé (j'avais un peu moins de 6 ans), dans le nouvel appartement, il avait construit une bibliothèque où il y avait aussitôt posé ses livres. Je vois encore la scène : il m'avait conduit devant et m'avait dit : "Tu vois, tu peux prendre n'importe quel livre sans me demander la permission". 

Quelle ouverture extraordinaire ! 

Mais il y avait aussi sa curiosité, pour la mythologie et l'étymologier. Cette dernière a été vraiment fondatrice pour moi parce que c'est une clé parfaite pour les sciences :  Lavoisier et bien d'autres ont répété à l'envi l'importance des mots en relation avec les concepts. 

Pour la mythologie, il s'agissait surtout de comprendre le fonctionnement de nos sociétés humaines et les relations de pouvoir qu'il fallait... démystifier : tel roi disait descendre d'Hercule pour légitimer un pouvoir qu'il avait confisqué indûment. 


Surtout, mon père nous donnait une pièce de monnaie quand nous lui posions une question à laquelle il ne savait pas répondre. La question de l'argent était secondaire et la récompense aurait pu être autre, mais c'est la dynamique du questionnement qui était essentielle,  et je ne dois pas m'étonner trop d'avoir été si passionné à la lecture de Platon quelques années plus tard, quand j'ai eu l'âge de 16 ans. 

Dans toutes ce relations, il  y avait un goût pour la chose intellectuelle,  pour la compréhension du fonctionnement du monde...

J'allais oublier l'essentiel d'ailleurs : il m'a offert une boîte de chimie alors que je n'avais que 6 ans et m'a laissé entièrement libre de l'utiliser : quelle confiance ! Mais surtout quelle chance pour moi : c'est ainsi que j'ai pu commencer mes propres expérimentations avant d'aller faire plus au Palais de la découverte, à ce merveilleux Palais de la découverte qui montre aussi bien les phénomènes ...  que nous devons montrer sans faute à tous les enfants afin de faire briller leurs yeux.

lundi 22 avril 2024

Méfions-nous des théories culinaires, même par les plus grands des chefs

Le livre signé par Paul Bocuse, La cuisine du marché, est intéressant a bien des égards, et notamment parce qu'il dit souvent bien les techniques employées. 

 En revanche, consultant la partie consacrée aux rôtis, je suis atterré par l'accumulation d'erreurs. Je n'aime guère toucher aux idoles, mais je pense surtout aux plus jeunes, aux apprenants, et si on peut leur éviter de gober des fadaises, c'est d'utilité publique. Voici donc le texte : 

 Les rôtis
Rôtir, griller ou sauter une pièce de boucherie, une volaille, un gibier, c'est cuire par concentration de la chaleur qui pénètre peu à peu vers le point central du morceau en traitement. Cette pénétration calorique refoule devant elle les sucs des substances et les emprisonne dans une enveloppe rissolée. Ce premier temps de l'opération de rôtissage est suivie d'un phénomène inverse qui constitue le second temps.
La pénétration calorique étant accomplie, la pièce est retirée de l'action directe de la chaleur nue (broche) ou rayonnante (four) et mise à reposer. Alors, les sucs emprisonnés et refoulés, qui étaient soumis à une forte compression, se libèrent et refluent lentement vers l'extérieur jusqu'à l'enveloppe rissolée. Ils s'insinuent dans les tissus, achèvent leur cuisson en leur communiquant une jolie couleur rosée.
L'enveloppe rissolée elle-même s'amollit légèrement, son épaisseur tend à disparaître pour ne devenir qu'une mince ligne brune qui cerne à peine et souligne la tranche de viande rouge ou blanche, de laquelle s'échappent des perles de jus grassouillet, rosé ou doré suivant la nature de la viande. 


Où sont les erreurs ? 

Rôtir, sauter, griller, ce n'est pas "cuire par concentration" : cette terminologie fautive a été supprimées des programmes ("référentiels") de l'Education nationale depuis plusieurs décennies. 

Et, de surcroît, le "calorique" n'existe pas : c'était une idée de physico-chimie fautive, introduite vers l'époque de la Révolution française ! 

Parler de chaleur ? Pourquoi pas : cela est maintenant clairement défini par la thermodynamique... mais il ne peut pas exister de "concentration de la chaleur". Pourquoi évoquer une notion que l'on ne maîtrise pas ? Pour être simple et juste, il suffirait de dire que, quand on chauffe la pièce, elle s'échauffe par "conduction", avec une température à coeur qui augmente progressivement, l'échauffement à coeur étant plus lent que sur les bords. 

Cet échauffement "refoulerait" les "sucs des substances" ? D'abord, il n'y a pas de place, au coeur de la viande, pour quoi que ce soit. Donc impossible de refouler quoi que ce soit. Et pour ceux qui ne restent pas convaincus, je les invite à s'interroger sur le fonctionnement des vérins hydrauliques ! 

D'ailleurs, lisons lentement : ce fameux calorique qui n'existe pas refoulerait quoi ? Les "sucs des substances" ? Savez-vous bien ce qu'est un "suc", d'une part, et, d'autre part, de quelles substances s'agit-il ? La phrase est incompréhensible, ou, plus exactement, elle est insensée. 

L'enveloppe rissolée, maintenant : le fait que de la fumée s'élève d'une viande qu'on rissole suffit  à démontrer que cette couche superficielle n'est pas imperméable, qu'elle n'emprisonne rien du tout. D'ailleurs, le mot "emprisonné" est connoté, sans raison : littérairement, cette phrase est mal conduite, en plus d'être erronée.
Ajoutons aussi que la cuisson de la partie externe produit la contraction de cette partie, ce qui a pour effet de faire sortir les jus des parties contractées : c'est ce liquide qui fait le brun (du jus dont l'eau a été évaporée) que l'on déglace ensuite.

Un phénomène inverse, qui serait le second temps ? Voyons le paragraphe suivant, pour comprendre ce dont il peut s'agir (l'inverse de quelque chose de faux pouvant être faux !). 

On nous parle de pénétration calorique "accomplie" : qu'est-ce que cela veut dire ? Accomplir, selon le dictionnaire, c'est mener à son terme. Mais qu'est-ce que peut être ce terme ? Que la température serait partout égale ? Certainement pas, puisque la viande d'un rôti, à coeur, reste rouge. Alors ? Alors cela n'a toujours pas de sens. 

On nous dit alors de retirer la  pièce de l'action directe de la chaleur nue ou rayonnante. Disons simplement que l'on arrête de chauffer, non ? Car stricto sensu, en bon français, on ne retir pas la pièce de l'action de la chaleur. 

La broche correspondrait à de la chaleur nue ? Ouille ! Le feu cuit par rayonnement. Et, dans un four, c'est bien le rayonnement qui cuit, à moins que ce soit par contact avec de l'air chaud, ce qui n'est donc pas rayonnant : tout faux, à nouveau ! 

Bon, on met la viande à reposer. Là, je comprends, même si ce n'est guère précis : combien de temps ? 

Les auteurs enchaînent en parlant à nouveau des sucs "emprisonnés et refoulés", dont nous avons vu qu'ils n'existent pas. La seule chose qui soit juste, c'est que les jus aient été évaporés dans la partie superficielle, mais pas dans la partie interne, et que la partie interne soit restée quasi crue, alors que la partie superficielle est "cuite" (coagulée).
Oui, les zones périphériques étaient contractées, comme dit plus haut, et oui, elles se détendent, de sorte qu'elles peuvent aspirer des jus du coeur.
Et comme, de plus, les fluides migrent souvent, en moyenne, des zones où ils sont abondants vers les zones sèches, les jus du coeur peuvent migrer vers l'extérieur, quand la viande se détend. 

Le mot "insinuer" est connoté, mais passons, et la question de la couleur pourrait être discutée, mais la faute est mineure. 

En revanche, quand la viande se détend, il n'y a pas ce perlage dont on nous parle : celui-ci se fait dans la première phase, et pas ensuite. 


Bref, c'est du charabia. Pourquoi un cuisinier qui n'est ni physicien ni chimiste, et l'auteur du livre (celle qui a tenu la plume), qui n'avait pas non plus les connaissances nécessaires, se sont-ils laissés aller à dire n'importe quoi ? Leur nom est entaché à jamais, en quelque sorte.

De la mousse de yaourt ? Facile !


Des étudiants me demandent de les aider à faire une mousse de yaourt. Ils sont allés en cuisine, ont fait des essais, et ne sont arrivés à rien. Mais, à l'analyse, ils s'y sont très mal pris... parce qu'ils n'ont que très superficiellement utilisé l'organe qu'ils ont entre les oreilles (j'espère) et, surtout, parce qu'ils manquaient de méthode : pour obtenir un tel résultat, il ne faut surtout pas aller en cuisine, mais faire un travail technologique... qui commence avec un tableau pour travailler de manière systématique. 

 

La question posée  ? Il est facile de remplir le tableau : comment faire une mousse de yaourt ? L'analyse la question : l'objectif est donc de faire une mousse de yaourt, mais, avant de nous demander comment faire, nous aurions intérêt à nous demander ce qu'est une mousse de yaourt, et pourquoi faire une telle mousse ! Dans mon cas, après avoir interrogé mes interlocuteurs, j'ai appris qu'un industriel leur avait posé la question... de sorte que leur répondre revenait à donner gratuitement de l'expertise à cet industriel. Pas d'accord, il n'a qu'à payer ! En réalité, on voit que je réponds... mais c'est parce que, agent de l'Etat, je veux montrer : 

- aux étudiants qu'il faut de la méthode 

- aux industriels, que la science est la base de l'innovation? 

Et je mets l'analyse en ligne afin que les concurrents de l'industriel l'aient également. 

Des mousses ? il y en a d'innombrables, avec des textures différentes, entre le blanc en neige, la crème fouettée, le sabayon, etc. Et s'il y a d'innombrables solutions, il est inutile que nous nous lancions tête baissée dans la construction d'une mousse particulière, sans savoir de précisions sur la "commande". La première chose à faire, pour un "bureau d'études" (puisque c'est bien de technologie dont il s'agit), c'est de bien demader aux commanditaires de préciser leur commande. Maintenant les étudiants des écoles d'ingénieur doivent savoir que le lait, le blé, le sucre, sont des fantasmes, en ce sens que le lait est d'abord fractionné, en eau, matière grasse, protéines sériques, caséines, etc., 

Le yaourt, de ce fait, est aujourd'hui composé à partir de ces fractions, de sorte que l'idée qui consisterait à foisonner un yaourt serait naïve, même si l'on a ajouté de la gélatine ou une des innombrables protéines foisonnantes qui sont à notre disposition. D'abord, le produit ne serait plus exactement une mousse de yaourt, mais une mousse au yaourt, ce qui nous ramène à la question de la mousse au chocolat et de la mousse de chocolat, le chocolat Chantilly, que j'ai discutée dans un autre billet. 

Faire foisonner du yaourt ? Il y a dans le yaourt tout ce qui est nécessaire pour y parvenir, mais le le problème est surtout de stabiliser la mousse formée, pas de la produire, comme on s'en aperçoit en battant de l'eau pure : on voit des bulles d'air s'introduire, mais elles ne tiennent pas, alors que le blanc d'oeuf, lui, accepte également les bulles d'air, mais les ne retient, parce que les protéines viennent entourer les bulles. Dans la crème fouettée, la matière grasse cristallise au froid, et, quand elle est en quantité suffisante, elle stabiliser la mousse. 

Toutefois, on peut aussi imaginer des systèmes où des composés forment un gel "chimique", bien plus stables que des gels physiques. Les possibilités sont innombrables... La question n'est donc pas de foisonner un yaourt, mais plutôt de stabiliser la mousse obtenue. Quels composés du yaourt stabiliseront-ils la mousse ? Et puis ne peut-on pas chercher à obtenir des "mousses de yaourts" à partir des fractions évoquées plus haut, mais en séparant les étapes et en prévoyant immédiatement la stabilisation ? 

Supposons que nous partions du petit lait des yaourts, c'est-à-dire de l'eau et des protéines et, plus précisément, de protéines sériques, qui peuvent coaguler. Alors la mousse obtenue pourra être passé au four à micro-ondes, de sorte que l'on déclenchera la coagulation et que la mousse sera stabilisée. Une autre façon consiste à reprendre l'idée de la crème fouettée, mais avec les composés du yaourt, c'est-à-dire essentiellement l'acide lactique obtenu à partir du lactose. 

On n'oublie pas que, historiquement, le yaourt a sans doute été une découverte de nos lointains ancêtres qui, n'ayant pas les gènes du métabolisme du lactose à l'âge adulte, étaient privés de la possibilité de consommer le lait, donc ont produit des yaourt, des fromages, etc. 

Ajoutons (en vrac : on se souvient que je ne suis pas là pour répondre à la question de l'industriel qui n'a rien payé) que l'acide lactique donne un petit goût acidulé et frais, qui est intéressant, mais évidemment ce n'est pas le seul composé à faire le goût des yaourts, car la fermentation par les deux micro-organismes essentiels utilisés pour faire les yaourts conduit à une série de produits, qui sont soit solubles dans l'eau, soit solubles dans l''huile, de sorte que l'on peut récupérer les deux fractions pour les ajouter à la préparation finale. 

Finalement on voit que l'on pourra faire mille mousses de yaourts, avec mille consistances différentes, et mille goût différents. Rien de tout cela n'est difficile, à condition d'avoir bien analysé la chose. Passons donc maintenant à la troisième ligne du tableau : la proposition de solution. Comme on a vu qu'une infinité de solutions étaient envisageables, nous sommes bien en peine de remplir cette ligne, sans indications supplémentaires. 

D'ailleurs, voici un conseil à mes jeunes amis : ne répondons pas aux questions mal posées. Au minimum, reformulons les questions pour les poser mieux, et répondons à des questions bien formulées. Vient enfin l'évaluation de la proposition trouvée. Pour ce qui me concerne, elle est faite : j'ai dénoncé un commanditaire qui a passé une mauvaise commande, ce qui est le cas dans nombre de discussions technologiques, et, surtout, j'ai montré le bon exemple à des étudiants. 

Mais il manque quand même de leur avoir signalé que la cuisine, c'est de la technique, de l'art, du lien social. En cuisine, le "bon", c'est le beau à manger... de sorte que nos jeunes amis devraient se rapprocher d'artistes, pour leur projet. Le pire serait qu'ils s'imaginent qu'ils vont être capables de faire "un bon goût" ! En architecture, rien n'est pire que les ingénieurs qui se prennent pour des architectes : il faut des artistes pour dessiner... et les ingénieurs seront là pour rendre les dessins possibles, comme cela a été le cas pour la Philharmonie, à Paris, récemment ! Moralité : avant de nous lancer, analysons correctement, méthodiquement, les questions qui nous sont adressées, et ayons suffisamment de culture (scientifique) pour y répondre. Sans quoi, nous ferons comme les étudiants qui m'avaient interrogé, à savoir produire un travail technique qui n'aboutit même pas, et qui, au mieux, est minable gustativement. Bref, j'invite tous mes jeunes amis à utiliser le tableau précédent avec excès !

Répéter ? Là n'est pas la question

Alors que je regarde classe de maître de musique, je tombe sur un professeur qui répète tant les choses que je me lasse, ayant le sentiment que l'on me prend pour un imbécile. Quand on m'a  dit quelque chose une fois et que l'on me l'a dite correctement, j'ai compris et je trouve pénible qu'on répète, car on me fait alors perdre mon temps. 

Je croise cette observation avec ma propre pratique de professorat, qui fait l'hypothèse qu'il faut apprendre sept fois pour savoir puisque, comme nous apprenons trop vite et que nous sautons un mot sur sept, il nous faut sept lectures pour arriver à avoir tous les mots.
 

Un dilemme ? En réalité non, car il doit toujours y avoir d'abord la question de savoir à qui l'on s'adresse. Si on s'adresse à ceux qui apprennent vite, alors il faut parler vite. Si l'on s'adresse à ceux qui apprennent lentement, il faut parler lentement. 

Un problème résulte évidemment de l'hétérogénéité des classes... mais c'est une erreur des professeurs de vouloir enseigner de la même manière à des personnes très différentes et il serait temps, au 21e siècle,  de trouver des moyens de faire plus intelligemment qu'on a fait par le passé. Il a été dit mille fois que le tutorat était une meilleure solution et notamment parce que c'est l'étudiant qui apprend, le professeur se limitant à proposer un cadrage des étude, un déblogage éventuel, à indiquer des pistes, à proposer des évaluations qui visent surtout à dépister des incompréhensions qui seraient passé inaperçues. 


Bref, c'est seulement dans une vision périmée du professeur que se posent des problèmes qui n'ont pas lieu d'être et l'on ne répétera jamais assez que la question n'est pas pour les professeurs d'enseigner ou de professer (mieux). La question est, pour les étudiants, d'étudier ! 

dimanche 21 avril 2024

La question des questions scientifique


Lors d'évaluations des travaux scientifiques, qu'il s'agisse de juger des rapports écrits ou des présentations orales, il y a souvent la question des questions scientifiques : lesquelles ont-elles été retenues pour les travaux effectués ? 

Les évaluateurs, s'ils font bien leur métier, doivent distinguer les questions scientifiques des questions technologiques. Les unes ne sont pas mieux que les autres, ou les autres que les unes, mais il y a des différences de nature : dans un cas (les sciences de la nature), on cherche à repousser les frontières de l'inconnu, mais, dans l'autre, on veut perfectionner des techniques, introduire des méthodes nouvelles, inventer et non pas découvrir. 

Ici, je m'interroge sur les questions scientifiques, et non pas sur les questions technologiques, faisant l'hypothèse (bien exagérée, hélas) que nos évaluateurs sauront faire la différence. Comment sélectionner nos questions (scientifiques, donc) ? 

Pourquoi avons- nous choisi les questions que nous explorons ? Cette... question est évidemment très difficile, et si l'on se reporte à d'autre billets, on verra que je propose moins d'y répondre que de s'être interrogé, en vue de pouvoir y répondre un jour de façon claire. Oui, je propose que nous sachions répondre clairement à : 

1. quelles questions scientifiques explorons-nous ? 

2. pourquoi avons-nous choisi ces questions plutôt que d'autres ? 

Etre capable de dire quelle est la question que nous explorons, c'est la clé de voûte de l'ensemble du travail, car la réponse à cette question conditionne le choix des méthodes que nous mettons en œuvre. Si l'objectif est connu, alors le chemin qui y mène pourra être choisi, mais l'inverse est plus hasardeux. Certes, il se peut fort bien qu'une question soit inaccessible et moins intéressante que le chemin que l'on empruntera, chemin au cours duquel nous ferons mille découvertes, et peut-être même des découvertes importantes, si l'esprit est préparé, mais on conviendra que la méthode est quand même hasardeuse, et manque de réflexion. Pour ce qui concerne les raisons pour lesquelles nous choisissons une question plutôt qu'une autre, c'est là, à nouveau, un sujet de discussion que je propose d'avoir, car les scientifiques savent bien que certaines questions sont plus "porteuses" que d'autres, en termes de frontières de l'inconnu repoussées. 

Certaines études trouvent une réponse à une question, et font faire des progrès très locaux, ce qui n'est pas mal, mais sans plus. En revanche, dans d'autres cas, les études ouvrent des champs, et l'on ne peut s'empêcher de penser que le travail est alors bien supérieur. On aura compris que, évaluateur (des autres ou de moi-même), je préfère les questions qui ouvrent des champs aux questions qui se limitent à apporter des réponses ponctuelles. Bien sûr, il y a toujours le risque qu'une ambition démesurée conduise à des travaux stériles, et il est sans doute de bonne stratégie d'avoir des travaux à des échelles de temps différentes : petites questions, moyennes questions, grandes questions. 

Pour autant, peut-on faire une carrière sur de petites questions ? C'est peut-être dommage, sauf si l'accumulation de petites questions finit par faire un champ de grande ampleur, une belle construction. Mais on se souvient surtout que, pour les question aussi difficile que celle qui est traitée par ce billet, je n'ai aucune certitude… et surtout des questions. Je demande essentiellement que nos communautés aient des discussions claires à ce propos, afin d'aider les jeunes scientifiques à forger leurs stratégie.

samedi 20 avril 2024

Les Ateliers Science et Cuisine

 
En 2001, nous introduisions les Ateliers Expérimentaux du Goût dans les écoles primaires, sous la houlette du Ministre de l'Education nationale. Rapidement des extensions furent trouvées pour les collèges et les lycées. 

Puis, en 2004, furent créés les Ateliers Science & Cuisine, en relation avec les programmes scolaires, pour les collèges et les lycées. Un groupe de professeurs a alors travaillé, sous la houlette de l'Inspection de l'Académie de Paris, pour préparer des activités sur ce thème, fournissant des documents pédagogiques utilisables par les collègues. 

Les "fiches" de ces Ateliers, aujourd'hui souvent préparéees par Marie-Claude Feore et Laure Fort, dans le cadre du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra, sont en ligne, soit sur le site de l'Académie de Paris, soit (c'est plus complet) sur le site du Centre International de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra : http://www.agroparistech.fr/-Les-Ateliers-Science-Cuisine-colleges-lycees-.html 

Le succès de ces ateliers ne se dément pas : environ 30 demandes pour des TIPE ou des TPE arrivent chaque jour au Centre (icmg@agroparistech.fr). N'hésitez pas à utiliser les fiches, ou bien à les faire utiliser, en diffusant l'information dans votre entourage !