dimanche 10 décembre 2017

Simple, le bouillon de carottes ? Pas sûr

Cette fois, je voudrais évoquer la confection d'un bouillon de carottes.

Un bouillon de carotte semble un peu simplet ? Je maintiens qu'aucune préparation culinaire n'est à exclure, si la technique, l'art, la science du lien social ont été bien employés. Pour un simple bouillon de carottes, comme pour toutes les autres préparations, il peut y avoir le pire et le meilleur.

Le pire, c'est le résultat que l'on obtient ainsi : on prend une casserole, on met de l'eau, et l'on ajoute des rondelles de carottes (le pire du pire, ce serait si les carottes n'avaient même pas été lavées ni épuchées, mais je nous envisagerons quand même pas cette possibilité). Puis on cuit...

Comment faire mieux ?

Les travaux effectués dans les séminaires de gastronomie moléculaire ont montré que l'empirisme culinaire a identifié une saine pratique, quand il a préconisé de  faire d'abord revenir des rondelles de carottes dans un peu de matière grasse, de les faire « suer ». À quoi bon ?

Lors de cette cuisson préalable, les carottes libèrent sans doute une partie de leurs sucres, à savoir glucose, fructose, saccharose. Comme la température est élevée, puisque se suage se fait en l'absence d'eau, ces sucres caramélisent sans doute un peu. D'où peut-être le changement de couleur observé.
D'autre part, mettant notre nez au-dessus la casserole, nous sentons une odeur, preuve que des composés odorants sont libérés. Or puisque nous cuisons dans la matière grasse, ces composés odorant peuvent s'y dissoudre. D'ailleurs, s'il vous goûtez le beurre où les carottes ont été suées, vous verrez un goût puissant.

A ce stade, on ajoute de l'eau, et cette matière grasse s'émulsionne. Elle s'émulsionne de façon invisible, certes, mais elle s'émulsionne, et vous verrez, en buvant le bouillon de carotte, que ce dernier a beaucoup de longueur en bouche. Pas étonnant : il y avait tous les composés odorants dans la matière grasse émulsionné, et qui, au cours de la dégustation, viennent stimuler les récepteurs sensoriels.



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Réduire un jus ? Il faut de la science !

Ce matin, une question, qui montre combien la cuisine traditionnelle est hasardeuse, et combien la cuisine note à note s'impose pour sa précision.

La question :

"Je travaille dans un restaurant " traditionnel" et régulièrement je prépare des jus de viande. J'ai remarqué que, d'une fois à l'autre,  le résultat est très différent, bien que j'utilise la même méthode.

Voici ma méthode : 
Dans une plaque à rôtir, sur le feu, je fais colorer des chutes de viande (essentiellement des nerfs de boeufs coupés en petits morceaux ou des carcasses de canard concassées en morceaux).
Une fois que cette matière est bien colorée, je lui ajoute  j'ajoute de l'oignon, du persil, de la carotte, et je continue de faire rissoler pendant quelque minutes.
Je déglace avec du vin rouge et,  après réduction presque totale, j'ajoute de l'eau (environ le double de viande ). Je laisse cuire à feu doux  (petite ébullition)  en remuant de temps en temps. Après réduction du liquide de moitié,  je le filtre et réserve au frais. Une fois que tout a refroidi, je retire la graisse figée qui est remonter et je fait réduire.
A ce stade il m'est arrivé d'avoir des texture différentes (au réfrigérateur, le jus peut être trés gélifié la graisse plus ou moins ferme et la couleur plus ou moins foncée.

Je fais réduire mon jus afin d'obtenir une texture sirupeuse, nappante (à chaud) est c'est là qu'il m arrive d'être le plus surpris par la quantité restante qui peut aller de 10 à 30cl.

Voila pour résumer ma technique. Pourriez-vous me dire quels sont les facteurs (temps de cuisson, température...) qui entrent en compte afin de tirer un  maximum de  jus en quantité et surtout le goût ?"




Et ma réponse :


Tout est susceptible de variation, dans un tel protocole, mais il faut distinguer le gros et le détail.

Tout d'abord, la nature de la "viande" : selon les morceaux, il y a plus ou moins de tissu collagénique, lequel produira plus ou moins de gélatine. D'autant que le tissu collagénique diffère considérablement selon que les animaux sont jeunes ou vieux, selon leur origine. C'est là, à mon sens, la principale possibilité de variation, et elle est bien incontrôlable.
D'autre part, le traitement thermique semble être le principal moment du traitement, car c'est lui qui permet la récupération de la gélatine. C'est essentiellement sa durée, et son intensité, qui comptent.

Ensuite, il y a des effets secondaires. Par exemple, que la réduction soit lente ou rapide... mais ce n'est pas un effet nul, car une prolongation de la cuisson ou de la réduction peut dégrader la gélatine extraite.
La coloration, aussi, peut avoir un effet, mais il me semble secondaire, également.
La température ? Dans la mesure où il y a effectivement ébullition, elle est de 100 degrés... ce qui fait penser que personne, à ma connaissance, n'a comparé des extractions à basse température et à 100 °C.

Le goût, enfin ? Là encore, c'est l'incertitude : certes, des cuissons longues qui dégradent la gélatine font des acides aminés savoureux, et le rôtissage initiial peut tout changer, bien sûr, mais il faut se reporter à un compte rendu de nos séminaires pour avoir plus d'informations.





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En cuisine, il y a des brunissements de tas de sortes

Ce soir, une question :


Formatrice en sciences appliquées je me posais une question, ainsi que mes collègues, sur le brunissement du rotissage ou braisage des viandes. Nous voyons souvent dans les manuels que la réaction de Maillard en est la cause. Mais quel est le sucre réducteur qui est responsable ?
Et si ce n'est pas la réaction de Maillard, a quoi est dû ce brunissement ?



Merci de la question, et cela pour plusieurs raisons.
D'abord -pardonnez-moi d'être hors sujet-, les "sciences appliquées" ne peuvent pas exister : Louis Pasteur est un de ceux qui ont bien expliqué qu'il y a la science, et les applications de la science. Si la science est appliquée, ce n'est plus de la science, mais de la technologie, ou de la technique. Il faut donc absolument militer pour changer cette terminologie fautive : aidez-moi s'il vous plaît, militez avec moi. La science, c'est la science !

D'autre part, il y a des brunissements de très nombreuses sortes, comme je crois l'expliquer bien dans mon Traité élémentaire de cuisine. Par exemple, quand vous mettez dans de l'eau un sucre nommé acide galacturonique (un "maillon" des molécules de pectine) et quand vous chauffez cette solution limpide et incolore... vous obtenez un brunissement terrible, en quelques heures, alors qu'il n'y a qu'un sucre. Pas d'acides aminés ! Pas de protéines !
Autre exemple : quand vous coupez une pomme, elle brunit... mais là encore, il ne s'agit pas de réactions de Maillard.

Les réactions de Maillard ont été galvaudées à l'infini, par des gens (y compris des auteurs de manuels : d'ailleurs, où est la preuve de leur compétence, à part leur prétention à enseigner aux autres ?) qui ont souvent été bien ignorants...
... et je suis partiellement responsable, parce qu'il est vrai que, dans les années 1980, j'ai popularisé les réactions de Maillard, qui étaient méconnues.
Mais, depuis, je rencontre des cuisiniers qui vont même jusqu'à me donner des cours... d'erreurs. Par exemple, il n'est pas vrai que les réactions de Maillard se font seulement à haute température : la preuve est que l'opacification du cristallin des personnes diabétiques est le résultat de réactions de Maillard... qui se font à 37 degrés. Où est la haute température ?

Je terminerai en disant que, le plus  souvent, à haute température, les réactions sont des "pyrolyses" (il existe une journal scientifique international tout entier consacré à ce sujet). Ce ne sont pas les seules, comme je vous l'ai indiqué avec le brunissement de l'acide galacturonique : il y a des oxydations, des hydrolyses, des "déshydratations", des pyrolyses, des réactions de Maillard, des foules de réactions possibles, qui conduisent à des brunissements, notamment d'un rôti.

Et pour en revenir à l'enseignement, il faut donc se poser la question de savoir ce que l'on veut enseigner : si l'on dit au jeunes que le brunissement des viandes résulte de réactions de Maillard, ou de pyrolyses, à quoi cela leur servira-t-il ?
La question était au coeur de mon Traité élémentaire de cuisine, écrit spécifiquement pour les professeurs et les élèves, au moment de la réforme du CAP. Je sais que quelques vieux professeurs ou professionnels résistent à la vérité, mais je crois que nos jeunes méritent mieux. Je reste atterré, par exemple, de voir des cuisiniers étoilés confondre les mousses et les émulsions. Voilà un combat bien plus important, je crois, que de nommer les réactions du brunissage des viandes lors d'un rôtissage.

On demande à l'inspecteur général d'organiser des états généraux de l'enseignement culinaire ?








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Une excellente daube


« C'est de la daube. » Le mot « daube » est souvent utilisé pour désigner de mauvais produits, alors que la cuisson à l'étouffée peut devenir une extraordinaire opération culinaire, à condition d'être bien comprise.


Comme souvent, c'est le pire qui est éclairant : ici, le pire consiste à mettre de la viande et de l'eau dans un récipient fermé et à chauffer très fort, et peu de temps. Avec cette manière, on obtient une viande bouillie et dure, un liquide bien triste, bref un désastre.

Analysons : on comprend d'abord que le liquide ajouté ne doit certainement pas être de l'eau pure, et, d'ailleurs, dans le passé, il s'agissait plutôt de vin rouge. Evidemment, il y a vin et vin... mais c'est une question de goût, souvent, et ne voulant pas empiéter sur vos choix esthétiques, je vous laisse décider lequel vous utiliserez. Cela dit, le vin n'est pas suffisant, et il vaut mieux lui ajouter nombre d'ingrédients qui corseront l'affaire, tels l'ail, le laurier...

Le cas du liquide étant considéré, passons à la viande : si c'est une viande un peu dure, à braiser, il faudra la braiser, en quelque sorte. Même si la cuisson à l'étouffée n'est pas exactement un braisage, il y a lieu de reprendre les mêmes idées, à savoir que la cuisson à basse température (entre 60 et 100 degrés) permet l'attendrissement de la viande quand la cuisson est prolongée, parce que, alors, le tissu collagénique qui fait les viandes dures se désagrège, libérant des acides aminés sapides, qui donnent beaucoup de saveurs au plat. Autrement dit, il faudra cuire non pas la viande complètement immergée dans le liquide mais juste les pieds dans l'eau, et cuire longuement, à basse température.

Reste la question du « pot » que l'on utilise pour cette cuisson. Les cuisiniers savent bien que la réduction donne souvent de bons résultats, en termes gustatifs, parce que, alors, les concentrations en composés sapides et odorants, notamment, sont augmentées. Or, dans un récipient parfaitement hermétique, la réduction n'aurait pas lieu. En revanche, dans un pot en terre pas très bien fermé, il y aura juste la bonne réduction, correspondant à une cuisson très longue. Et c'est ainsi que l'on récupérera une sauce courte, avec beaucoup de goût.

Comment faire si la sauce est trop longue en fin de cuisson ? Pas de drame : versons la sauce dans une autre casserole et terminons la réduction sur feu vif. D'ailleurs, il y aurait lieu de poursuivre les expériences pour savoir si les réductions à feu vif ou à feu lent donnent des résultats différents : malgré des annotations de certains cuisiniers, tel Jules Gouffé, les résultats à ce jour manquent de certitude.


Un mot pour terminer au cas où vous utiliseriez de l'eau pour votre daube, plutôt que du vin rouge. Des expériences sur l'influence de la qualité de l'eau sur la confection du bouillon de viande ont montré que les résultats étaient gustativement différents. Autrement dit, quand on parle d'eau, et puisque cette eau n'est jamais pure, mais chargée de sels minéraux sapides, il vaut mieux bien la choisir.













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Nous sommes bien d'accord : la gastronomie moléculaire, activité scientifique (une discipline qui fait partie du champ des sciences de la nature) n'a pas pour objectif l'invention, mais la découverte.


Toutefois les sciences de la nature ont des applications d'au moins deux types : techniques, et pédagogique. Les inventions relèvent semble-t-il (je deviens prudent, avec l'âge) du champ technique.


Je m'aperçois, ainsi, que j'ai oublié de nommer une vieille invention, souvent décrite et enseignée aux cuisiniers : les "gels d'huile", ou "huiles gélifiées". Evidemment, avec de tels noms, c'est peu engageant, car qui voudrait manger de l'huile ? Notre mauvaise foi gourmande veut travestir la chose (alors que le chocolat, c'est en gros 50 pour cent de matière grasse et 50 pour cent de sucre, sans que cela gêne personne), et c'est facile : il suffit de donner un plus beau nom. Un "chevreul", puisqu'il est question de matière grasse et que le chimiste français Michel Eugène Chevreul découvrit la structure des triglycérides ? Le nom a été précédemment donné à des mets qui mettent en oeuvre la transposition du "contraste simultané" en cuisine. Un de gennes, puisque Pierre-Gilles de Gennes explora la physique de la matière molle, et notamment des gels ? Le nom a déjà été donné à des perles d'alginate. Alors pourquoi pas des "graham", puisque Thomas Graham introduisit le mot "colloïde" en 1861 ?


Au fait, comment les préparer ?


Il suffit de repenser aux "gibbs", que j'avais proposés il y a des décennies : ce sont des émulsions piégées dans des gels chimiques, que l'on obtient de la façon suivante : à de l'eau, on ajoute un composé tensioactif (par exemple, des protéines), puis on émulsionne de l'huile, ce qui produit une émulsion ; on chauffe, afin de coaguler les protéines, et l'on obtient les gibbs, du nom du physico-chimiste américain Josiah Willard Gibbs.


Peu appétissant ? Imaginez que vous infusiez de la vanille dans l'eau, que vous la sucriez, et que votre huile soit une belle huile d'olive vierge : si vous produisez le met dans une jolie tasse, avec un objet un peu croustillant, bien doré, vous aurez un dessert remarquable. Ou si vous émulsionnez du chocolat fondu dans un blanc d'oeuf, avant de cuire votre émulsion, vous aurez un gibbs de chocolat délicieux (à servir chaud). Bref, plein de possibilités : je passe les gibbs au fromage, au fois gras, au beurre noisette...



Passons maintenant aux graham : c'est tout simple, puisqu'il s'agit de faire sécher les gibbs : si l'eau s'évapore, le réseau reste intouché, et l'huile demeure. Finalement, on récupère une huile dans un solide, un gel d'huile, un "graham".


Quel goût lui donner ? Celui du chocolat ? Du foie gras ? De l'huile d'olive ? Du beurre noisette ? La question est artistique, de sorte que c'est aux artistes (les cuisiniers) de répondre !

 
 
 
 
 
 
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Comment faire une gelée d'ananas ?


Comment faire une gelée d'ananas ? 

La question se pose à tous ceux qui veulent varier la nature des fruits dans les bavarois ou les aspics. Bien sûr, on peut mettre des pommes, des poires, des fraises, des abricots... Mais puisque l'ananas est un des grands fruits dont nous disposons, on en vient rapidement à vouloir faire une gelée d'ananas... et là, patatras ! Quand on met du jus d'ananas frais (bien plus intéressant que du jus chauffé) avec de la gélatine, la gelée ne prend pas, qu'elle soit ou non mêlée de crème fouettée, de sucre... 

Par hasard, les cuisiniers ont observé que la gelée prend si le jus a été chauffé, mais alors le goût est bien différent, et la fraîcheur de l'ananas est perdue. D'où la question  : comment faire une gelée d'ananas ?

Cette question a traversé les décennies, les siècles, et elle n'a pas eu de solution, parce que la technique n'était pas à même de lui en donner. Comment en aurait-elle eu ? 
C'est à ce stade de blocage que les sciences de la nature s'imposent absolument, pour une saine technologie. Les sciences ont montré que certains végétaux contiennent des enzymes nommées collagénases, ou protéases, qui dégradent les protéines. Or la gélatine qui structure classiquement les gelées est précisément une protéine, de sorte que les enzymes dégradent les protéines qui devraient gélifier. 

La science a identifié que les enzymes sont inactivées par la chaleur : c'est un fait que les protéases chauffées perdent leur capacité catalytique, et cela explique pourquoi on peut réaliser des gelées d'ananas à partir des jus d'ananas chauffé
Comment faire des gelées à partir de jus non chauffé ? L'application de hautes pression est une première solution, car ces pressions dénaturent les protéines, et notamment les enzymes. Mais analysons, si les protéases attaquent les protéines gélifiantes, pourquoi ne pas remplacer les protéines gélifiantes par d'autres composés qui ne seraient pas sensibles aux protéases ? L'exploration du monde a conduit à l'identification de bien d'autres polymères gélifiants que les protéines  : alginates, carraghénanes... De ce fait, on parvient très bien à faire gélifier à partir de ces composés non classiques, non traditionnels pour le monde occidental.
La conclusion est claire : de l'innovation est possible quand les sciences quantitatives, les sciences de la nature, sont utilisées. 







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Une leçon de science


Pierre Gilles de Gennes, Leçon inaugurale au Collège de France, 1971 (Collège de France, Paris).
« Un autre type d’erreurs est parfois induit par un désir systématique de simplicité. 
Certes, il est vrai que, dans la plupart des cas, les lois fondamentales de la nature s’expriment par un symbolisme remarquablement concis […] Mais il y a tout de même des situations où cet axiome tombe en défaut. Ainsi, toute une génération de physiciens a admis que notre monde ne distinguait pas la droite de la gauche sans chercher vraiment à vérifier cette proposition par des expériences soigneuses, mais simplement parce que c’était la plus simple. Il a fallu vingt ans, et l’analyse pénétrante de Yang et Lee, pour remettre cette attitude en cause. Finalement, par ses lois physiques, au niveau des interactions dites faibles, notre monde diffère de son image dans un miroir : il est moins symétrique de nous ne le pensions. Lui attribuer une symétrie plus élevée correspondait à une certaine forme de confort intellectuel. […] 
Il nous faut donc garder constamment à l’esprit le précepte de Galilée : « Ne pas souhaiter que la nature s’adapte à ce que nous estimons être le mieux ordonnée ». 
Pour nous théoriciens ces exemples sont particulièrement importants : ils montrent avec quelle prudence nous devons mener le dialogue avec nos collègues expérimentateurs. C’est notre devoir de suggérer des expériences, mais c’est aussi notre devoir de ne pas imposer nos modes de pensée. Pour ma part, j’y vois un des aspects les plus difficils de notre métier.
Il y a donc une esthétique de la simplicité qui nous guide et qui parfois nous égare ; mais il faut reconnaître que cet égarement même n’est pas totalement stérile ; même s’ils sont provisoirement inadaptés, les modèles qui en résultent méritent de survivre et peuvent trouver plus tard de nouveaux terrains d’application. En schématisant à peine, on pourrait dire que l’art du théoricien en physique est de savoir jusqu’où on peut aller trop loin en matière de simplification. »






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