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jeudi 12 septembre 2019

Un travail de votre laboratoire ? Quel rapport avec la cuisine ?

On me demande souvent un exemple de travail fait dans mon laboratoire, afin de mieux comprendre les relations entre la gastronomie moléculaire et la cuisine.



Je commence par rappeler la définition : la gastronomie moléculaire est la science (physique chimique, biologie...) qui explore les phénomènes qui ont lieu lors des transformations culinaires.

C'est une activité scientifique, et non pas une activité culinaire, puisque la cuisine est définie comme la préparation des aliments à partir des ingrédients alimentaires.

Mais j'arrive maintenant à l'exemple que l'on me demande : un exemple que je crois avoir soigneusement choisi pour montrer les rapports compliqué entre la science et la cuisine.




Cet exemple, c'est l'étude de la torréfaction du café.


On pourra me faire observer que la torréfaction du café ne se fait guère chez les particuliers, qui, aujourd'hui, achètent le plus souvent du café en poudre, moulu dans des sacs tout préparés. C'est oublier que naguère, on achetait des grains de café torréfiés, et pas de la poudre. Il fallait faire soi-même la poudre... mais, peu avant, on ne se limitait pas à moudre : il fallait torréfier, et l'on trouve d'ailleurs encore des systèmes spéciaux, pour ceux qui ne se contentaient pas d'une poêle.


Mais, de toute façon, même si la torréfaction du café n'est plus une activité culinaire, qu'importe, car on va voir que le cas particulier la torréfaction de café n'est pas ce qui nous intéresse. La torréfaction du café n'est, en effet, qu'un exemple de traitement thermique d'un tissu végétal. Quand on cuit une carotte, que fait-on ? Un traitement thermique de tissu végétal. Quand on fait des frites, que fait-on ? Un traitement thermique de tissu végétal. Et ainsi de suite : on a compris que la cuisine, quand elle fait usage de tissus végétaux, fait en réalité des traitements thermique de ces tissus, à des températures différentes, et avec des résultats différents.

Ces différents traitements s'accompagnent de modifications de la structure physique et de la composition chimique des tissus végétaux. Par exemple, l'amidon à l'intérieur des cellules de pomme de terre s'empèse quand on fait une purée ou des frites ; les carottes s'amollissent quand on les cuit à l'anglaise ; des lamelles de divers végétaux cuits au four se mettent à brunir...

Il y a donc là des phénomènes, et le but de la science est d'explorer les mécanismes de ces phénomènes. Ce que l'on pourrait formuler autrement en disant : qu'est-ce qui a lieu quand on fait ces différentes transformations, qui provoque les différents phénomènes ?

Et c'est ainsi que la torréfaction du café m'intéresse peu en elle-même, mais m'intéresse plutôt pour la généralité des phénomènes que nous allons explorer, et des mécanismes que nous espérons découvrir, des théories que nous espérons produire.

Lors de nos études, il y a bien sûr un volet un peu technologique, quand le doctorant en charge des travaux est en contrat avec une société industrielle qui a besoin de résultats pratiques, mais il y a surtout des explorations purement scientifiques, comme on va le voir.

Analysons que le café est fait d'eau, de celluloses, de pectines, de différent autres polysaccharides, de caféine, de trigonelline... Pour explorer la torréfaction, nos études nous conduisent à traiter thermiquement ces divers composés un à un pour voir comment ils réagissent, afin que la connaissance de toutes les réactions individuelles puisse nous permettre de comprendre la transformation totale de l'ensemble nommé café.

Or le chauffage de beaucoup des composés du café se retrouve lors de nombre de cuisson de légumes ou de fruits, et la connaissance que nous aurons en étudiant le café vaudra donc pour l'ensemble des cuissons de légumes.


Et c'est ainsi que nous arrivons souvent sur des idées utiles pour la cuisine, alors que nous ne les cherchions pas spécifiquement. Je prends l'exemple de ces bouillon de carottes dont la couleur changeait, et à propos desquels nous avons découvert que la cuisson se faisait différemment en présence et en l'absence de lumière.

Si l'on veut un bouillon de carottes orange, on le fait en l'absence de lumière, mais si on le veut ambré, alors il faut éclairer. On voit aussitôt une conséquence utile pour les cuisiniers : il n'est pas nécessaire d'ajouter des oignons brunis pour donner une couleur brune au bouillon, ce qui risquerait d'ailleurs de lui donner de l'âcreté.


Bref, je maintiens absolument, très énergiquement, que ce n'est pas en cherchant les applications qu'on les trouve le mieux, mais en ayant une activité scientifique, sans but apparent... sauf la découverte bien sûr ! Les applications viendront de surcroît, pour peu qu'on cherche à utiliser les connaissances scientifiques produites.



dimanche 10 décembre 2017

En cuisine, il y a des brunissements de tas de sortes

Ce soir, une question :


Formatrice en sciences appliquées je me posais une question, ainsi que mes collègues, sur le brunissement du rotissage ou braisage des viandes. Nous voyons souvent dans les manuels que la réaction de Maillard en est la cause. Mais quel est le sucre réducteur qui est responsable ?
Et si ce n'est pas la réaction de Maillard, a quoi est dû ce brunissement ?



Merci de la question, et cela pour plusieurs raisons.
D'abord -pardonnez-moi d'être hors sujet-, les "sciences appliquées" ne peuvent pas exister : Louis Pasteur est un de ceux qui ont bien expliqué qu'il y a la science, et les applications de la science. Si la science est appliquée, ce n'est plus de la science, mais de la technologie, ou de la technique. Il faut donc absolument militer pour changer cette terminologie fautive : aidez-moi s'il vous plaît, militez avec moi. La science, c'est la science !

D'autre part, il y a des brunissements de très nombreuses sortes, comme je crois l'expliquer bien dans mon Traité élémentaire de cuisine. Par exemple, quand vous mettez dans de l'eau un sucre nommé acide galacturonique (un "maillon" des molécules de pectine) et quand vous chauffez cette solution limpide et incolore... vous obtenez un brunissement terrible, en quelques heures, alors qu'il n'y a qu'un sucre. Pas d'acides aminés ! Pas de protéines !
Autre exemple : quand vous coupez une pomme, elle brunit... mais là encore, il ne s'agit pas de réactions de Maillard.

Les réactions de Maillard ont été galvaudées à l'infini, par des gens (y compris des auteurs de manuels : d'ailleurs, où est la preuve de leur compétence, à part leur prétention à enseigner aux autres ?) qui ont souvent été bien ignorants...
... et je suis partiellement responsable, parce qu'il est vrai que, dans les années 1980, j'ai popularisé les réactions de Maillard, qui étaient méconnues.
Mais, depuis, je rencontre des cuisiniers qui vont même jusqu'à me donner des cours... d'erreurs. Par exemple, il n'est pas vrai que les réactions de Maillard se font seulement à haute température : la preuve est que l'opacification du cristallin des personnes diabétiques est le résultat de réactions de Maillard... qui se font à 37 degrés. Où est la haute température ?

Je terminerai en disant que, le plus  souvent, à haute température, les réactions sont des "pyrolyses" (il existe une journal scientifique international tout entier consacré à ce sujet). Ce ne sont pas les seules, comme je vous l'ai indiqué avec le brunissement de l'acide galacturonique : il y a des oxydations, des hydrolyses, des "déshydratations", des pyrolyses, des réactions de Maillard, des foules de réactions possibles, qui conduisent à des brunissements, notamment d'un rôti.

Et pour en revenir à l'enseignement, il faut donc se poser la question de savoir ce que l'on veut enseigner : si l'on dit au jeunes que le brunissement des viandes résulte de réactions de Maillard, ou de pyrolyses, à quoi cela leur servira-t-il ?
La question était au coeur de mon Traité élémentaire de cuisine, écrit spécifiquement pour les professeurs et les élèves, au moment de la réforme du CAP. Je sais que quelques vieux professeurs ou professionnels résistent à la vérité, mais je crois que nos jeunes méritent mieux. Je reste atterré, par exemple, de voir des cuisiniers étoilés confondre les mousses et les émulsions. Voilà un combat bien plus important, je crois, que de nommer les réactions du brunissage des viandes lors d'un rôtissage.

On demande à l'inspecteur général d'organiser des états généraux de l'enseignement culinaire ?








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
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