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samedi 20 mai 2023

Du n'importe quoi

Décidément, le talent artistique ne donne pas de compétences en physico-chimie. Ainsi, ce matin, je retrouve dans Paul Bocuse, La cuisine du marché, p. 104 :

« Comme dans la sauce hollandaise, l’huile, corps gras et fluide, se fixe aux jaunes d’oeufs qui servent de liaison et de support, mais à la condition que cette association s’effectue lentement sous l’action d’un brassage vigoureux qui développe la température de la masse et l’aère ». 

Et non : dans une mayonnaise ou dans une hollandaise, l'huile ne se "fixe" pas aux jaunes d'oeufs, et ces derniers ne servent pas de liaison ni de support. Ils se limitent à apporter des composés tensioactifs, pour la mayonnaise, et des protéines qui coagulent dans la béarnaise. 

Le "brassage" n'a pas de sens : il faut surtout diviser l'huile en gouttelettes, et il n'est pas question ni de température ni de foisonnement. 


samedi 27 janvier 2018

La crème fouettée et égouttée ?

La crème fouettée ? On l'obtient en fouettant de la crème.




La crème ? Sa structure dépend de la température, parce qu'elle renferme de l'eau et de la matière grasse.
Aux températures inférieures à - 10 degrés, toute l'eau est solidifiée (en glace), et toute la matière grasse aussi.
Aux températures comprises entre - 10 degrés et 0 degrés, une partie (petite) de la matière grasse est fondue, mais l'eau est sous forme de glace.
Aux température comprises entre 0 degrés et 50 degrés, l'eau est liquide, et la proportion de matière grasse sous la forme solide diminue... de sorte que le système est une supension de gouttelettes de matière grasse, avec une partie  de graisse liquide et une partie de graisse solide. Ce n'est pas une émulsion pure.
Enfin, aux températures supérieures à  55 degrés, toute la matière grasse est sous la forme liquide, et l'on a enfin une véritable émulsion, dispersion de gouttelettes de matière grasse liquide dans une phase aqueuse.

Quand on fouette de la crème, surout de la crème refroidie, la graisse fusionne en un réseau de graisse solide qui stabilise l'ensemble, comprenant notamment  des bulles d'air que l'on a introduit. Mais, dans ce système instable, l'eau peut drainer. A quelle vitesse ?
Dans le temps, on avait l'habitude de placer la crème fraichement fouettée sur un linge, afin que l'eau s'écoule. Avez vous déjà fait l'expérience de goûter cette crème fouettée et égouttée ?



Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 16 décembre 2017

Une sauce merveilleuse : la sauce kientzheim


Cette fois, laissez-moi vous parler, comme promis, d'une sauce absolument extraordinaire, que j'ai nommée sauce kientzheim.




Pour comprendre la nouveauté, partons de la sauce mayonnaise.
Elle s'obtient en mêlant du jaune d'oeuf et du vinaigre, puis en ajoutant de l'huile goutte à goutte pendant que l'on fouette.
Pas de moutarde, sans quoi on obtient une sauce rémoulade, et non plus d'une sauce mayonnaise. Les sauces mayonnaise et rémoulade sont différentes, parce que la moutarde apporte un savorisme particulier. Pourtant ces deux sauces sont des émulsions, elles sont cousines.

Émulsion : cela signifie que ces sauces sont constituées d'une myriade de gouttelettes dispersées dans la phase aqueuse, dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf et par le vinaigre. Le mot « émulsion » fut introduit en 1560 par Ambroise Paré, chirurgien de plusieurs rois de France, et le mot vient de emulgere, qui en latin signifie traire. De fait, on trait les vaches pour obtenir du lait, lequel est une émulsion, composé de gouttelettes de matières grasses dispersées dans l'eau : le lait effectivement est un cousin physico-chimique de la sauce mayonnaise. Ou, plus exactement, la sauce mayonnaise et une cousine artificielle (ce qui signifie : un produit de l'art) du lait.

D'autre part les gourmands connaissent et apprécient les sauces hollandaises et béarnaises : ces deux sauces sont des cousines physico-chimiques, qui ne diffèrent l'une de l'autre que par l'emploi d'estragon dans la béarnaise, pour simplifier.
En principe, on les produit en chauffant du jaune d'oeuf avec de la matière grasse, et il y a plusieurs procédures possibles, mais, dans tous les cas, l'oeuf coagule,  ses protéines faisant de microscopiques agrégats qui donnent de la consistance à la sauce.
Cette fois, le système physico-chimique n'est plus l'émulsion, mais la « suspension émulsionnée » : « suspension », parce qu'il y a des agrégats microscopiques solides en suspension dans le liquide ; « émulsionnée », parce qu'il y a effectivement de la matière grasse, le beurre fondu,  qui a été divisée en gouttelettes,  dispersées également dans la phase aqueuse.

Faisons maintenant la synthèse : dans les sauces hollandaises comme dans les sauces mayonnaise, il y a la matière grasse, mais cette matière grasse n'est pas la même. Dans la mayonnaise, c'est de l'huile, mais dans la béarnaise, c'est du beurre fondu. Le beurre fondu ? Quel délice !


Pourrait-on alors produire une émulsion où la matière grasse serait du beurre fondu ? C'est cela la sauce kientzheim.

La recette : fondons préalablement du beurre, en le chauffant, puis attendons qu'ils refroidisse un peu, sans quoi il ferait cuire les jaunes d'oeufs ;  on l'ajoute alors à du jaune d'oeuf en le fouettant comme si c'était de l'huile  d'une mayonnaise. La sauce obtenue est une sauce kientzheim, une émulsion, et non une suspension ou une suspension émulsionnée.

En pratique ? Je vous propose de partir d'un jaune d'oeuf,  de lui ajouter le jus d'un citron, beaucoup de poivre,  un peu de sel, et d'utiliser plutôt que du beurre fondu du beurre noisette fondu et pas trop chaud. Ajoutez en fin  de préparation quelque câpres, et vous aurez une sauce tout à fait extraordinaire.

Pourquoi ce nom de sauce kientzheim ? Pour mille  raisons compliquées, mais il suffira de dire que Kientzheim est le nom d'un village du Haut-Rhin, situé près de Colmar. Un merveilleux village médiéval, coquet, où il fait bon manger pour vivre. Bon appétit !








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)