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lundi 21 septembre 2020

Je n'ai jamais peur de dire "Je ne sais pas"... et je veux même le dire sans cesse !

science/études/cuisine/politique/Alsace/gratitude/émerveillement

 

 

1. Un certain "enseignement" réclame que le professeur soit un "sachant", face à des étudiants qui sont des "apprenants". Affreux termes, affreuse idée.  !

2. Oui, affreuse idée, et notamment parce que l'on parle d'enseignement, alors que je maintiens que c'est une chose bien impossible. En revanche, les étudiants peuvent apprendre.
J'insiste : il y a cette "supériorité" insupportable des enseignants, ce fantasme de croire que l' "enseignant" peut introduire des idées dans la tête des étudiants, alors que ces derniers n'intégreront des idées neuves que s'ils ont la position active de les intégrer. Par eux-mêmes, et pas par quelqu'un d'autre : il faut répéter que, pour apprendre, il faut étudier.

3. En revanche, on peut parfaitement, et légitiment dans certains cas, vouloir "professer", à savoir "parler devant". Oui, les professeurs peuvent parler aux étudiants, afin que ceux-ci puissent faire bon usage de ce qui est dit. Avec esprit critique, avec énergie...

4. Les professeurs sont-ils censés tout savoir ? Certainement pas ! Et, d'ailleurs, je dirais volontiers que les bons professeurs doivent savoir montrer leur ignorance, montrer les pans de savoir qui sont manquants, pour eux et pour la collectivité, afin de faire de la place à des étudiants qui seraient passionnés par l'idée de contribuer à cette élaboration de savoir.

5. Et c'est ainsi que, personnellement, j'ai inscrit sur un de mes murs, au laboratoire "Pardon, je suis insuffisant... mais je me soigne". Oui, je me trouve très ignorant, très bête... mais certainement pas "suffisant" (OK, il y a un jeu de mot). Et oui, je me soigne pas un travail acharné : labor improbus omnia vincit, dit le proverbe latin (un travail acharné vient à bout de tout).

6. Certes, je supporte mal de ne pas savoir quelque chose, et, quand je me vois une ignorance particulière que je peux pallier facilement, je ne m'en prive pas. Mais je ne veux certainement pas masquer mon ignorance : c'est une bien meilleure stratégie que de l'avouer : aux autres... et à soi-même ! 




lundi 27 août 2018

A propos de pédagogie inversée… ou pas




Dans un billet précédent, je parlais de pédagogie inversée, que je citais comme un des exemples du fait que l' « enseignement » a changé. Il faudra discuter les termes de cette phrase, mais, auparavant, j'en reviens au fait : à signaler qu'un ami internaute, à l'expression « pédagogie inversée », commente  « Pas vous ! », en 'assortissant toutefois cette remarque d'éloges. Il y a lieu de lui répondre ici.



Commençons par cette question terminologique que j'ai vaguement esquissée, en utilisant notamment le mot « enseignement », un terme auquel fait écho le mot « pédagogie ». Ce mot-là ne me convient pas quand il s'agit d'études supérieures, parce que la pédagogie concerne les enfants ; or nos étudiants sont souvent majeurs, et ce ne sont plus des enfants. Enseignement ? Le mot ne me convient pas non plus, car il fait l'hypothèse que l'on peut enseigner, et le mot « instruire » qu'il fait également l’hypothèse que l'on peut transmettre quelque chose à quelqu'un. Je crois cela bien impossible, et je crois surtout à la vertu des « études », avec des « étudiants » qui se procurent leur propre savoir ; pour comprendre quelque chose, pour l'apprendre, il ne peut y avoir autrui, qui vous l'apprend ou vous le fait comprendre, mais un travail, un effort personnel, qui, seul, permet l'apprentissage ou la compréhension. Aristophane disait bien que, dans ces relations particulières, le professeur n'est pas en train d'emplir des cruches. Et la question terminologique est terrible, parce que si le mot « étude » me convient bien, je ne sais pas nommer en français le travail d'accompagnement que font les professeurs. Certes, ils professent, ils « parlent devant ». Professorat ? J'ai peur de mettre cet acte-là avant l'étude, ou, plutôt, non, je n'ai pas peur mais je récuse absolument l'idée qu'il y ait un professeur, un maître, un tuteur… avant l'étudiant. Dans le mot « étude », il y a les études en toute première place, et cela me convient. Et c'est ainsi que j'accepte bien volontiers de parler d'études élémentaires, d'études supérieures…



Mais revenons à la « pédagogie inversée » en oubliant cette histoire d'enfants qui figure dans l’étymologie du mot. Il y a des débats didactiques sans fin à propos des rénovations de l' « enseignement » (on devrait dire « des études »), et je sais parfaitement que la terminologie « pédagogie inversée » correspond à un type particulier d'activités qui est peut-être même breveté, comme l'a été il y a quelques années la « culinologie » : il y en a toujours qui cherchent à faire de l'argent. Mais comme je ne vends rien et que je refuse l'appropriation indue de terminologie, je vais continuer ici de parler de « pédagogie inversée » en prenant une acception un peu large qui n'entre pas dans les détails… pédagogiques. En réalité, je me moque de la pédagogie inversée, et mon discours tient tout entier dans cette idée que je mets au centre des études : l'étudiant, son activité de compréhension, d'apprentissage de savoirs, d'acquisitions de compétences, de travaux en vue d'obtenir de nouveaux « savoir-être ».

Avec ce mot « études », pas besoin d'aller très loin dans la didactique jargonnante : il suffit de penser que les étudiants sont au centre du dispositifs et que nous sommes à leur service pour les aider à obtenir connaissances, compétentes, savoir-être… Je rappelle que, naguère, mes « cours » étaient des exercices d'enthousiasme partagé où l'on discutait la question des informations (sans beaucoup d'intérêt puisqu'elles sont en ligne), des notions et concepts (qui sont des joyaux forgés par nos prédécesseurs les plus admirables), les méthodes, qui sont essentielles, les valeurs (qui sont une des principales raison d'être des professeurs) et, enfin, des anecdotes, qui font la vie plus douce, plus souriante. Rien de tout cela ne servait directement à « enseigner », mais ce professorat (au sens littéral de « parler devant ») avait pour principal objectif de donner à nos amis étudiants le goût, l'envie, l'énergie d'étudier.

On voit que mes amis internautes peuvent être rassurés : je ne verse pas dans les vétilles, mais, au contraire, je reste très proche des noyaux durs de cette activité qui revient entièrement aux étudiants : étudier !

dimanche 26 août 2018

Cessons de parler d'enseignant-chercheur; parlons de professeur-chercheur

Enseignant ? Avant d'analyser la fonction, parlons du mot... qui est abominable ; et, le pire, c'est qu'on ne s'en aperçoit presque plus. Pourtant, prononçons "apprenant" ou "sachant", et l'on comprend bien qu'il faut s'indigner face aux mots "enseignant" ou "enseignant-chercheur". Comment est-on venu à supporter le mot "enseignant" ? Comment a-t-on oublié la juste indignation de cet écrivain français, qui, il y a seulement quelques décennies, dénonçait avec justesse les trois maux de la langue française : le pullulement des adverbes, les excès de passif et l'inflation du participe présent ? Je crains que la Pesante Administration n'ait hélas sévi, écrasant l'élégance en même temps que la pensée.
Car la pensée va de pair avec la langue, comme le disaient justement Condillac ou Lavoisier, qui citait le premier : "Nous ne pensons qu'avec le secours des mots. L'art de raisonner se réduit à une langue bien faite ", disait Condillac ; "Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage", ajoutait Lavoisier.
Voilà pour la forme, mais le fond est plus grave. Par définition, un "enseignant" (décidément, le mot m'arrache la plume) enseigne. Enseigne ? Je ne discute pas ici l'étymologie du mot, mais j'observe seulement qu'il s'agit de faire connaître un savoir, de le transmettre. Comme si cela était possible ! Je déteste en réalité cette idée d'un étudiant qui serait une oie que l'on gave, au gré de... l'enseignant, et j'ai assez discuté le fait qu'enseigner est bien impossible, alors que la question est l'étude, pas l'enseignement. Notre siècle, par chance, commence à comprendre cela, avec des tas de dispositifs de style "classe inversée", par exemple.
Et cela est bon, car si l'on jette aux horties cette idée d'enseignement au profit des idées d'études, nous sommes sur la bonne voie. Il restera à nommer différemment les personnes qui aident les étudiants à apprendre : pourquoi pas "tuteurs" ou "professeurs" ? En tout cas, pour trouver le bon mot, nous serons enfin mis devant la tâche de bien analyser cette fonction qui consister nos étudiants à se constituer du savoir, des compétences, des savoir-être... Et cela est bon.

samedi 16 décembre 2017

Les sablés, entre spéculatif et opératif ;-)

J'hésite d'abord à utiliser ces deux mots, spéculatif et opératif, parce qu'ils sont largement utilisés dans des cercles... disons philosophiques.
En outre, les utiliser d'emblée risquerait de tourner au cliché.


Partons donc de quelque chose de simple, de concret : la cuisine. Et, mieux encore, d'un mets populaire, à savoir un poulet rôti.

Il est vrai que l'on peut discuter ce poulet rôti du point de vue de sa production. Il y a des gestes à effectuer pour l'obtenir : prendre un poulet, le tuer, le plumer, le vider, le rôtir. On effectue des opérations, et la description est donc opérative.
Malgré nos cercles philosophiques, conservons le mot, puisqu'il s'impose dans notre langue.

Cela dit, il y a aussi un "commentaire" du poulet rôti qui discuterait les conditions de sa production.
Par exemple, on peut essayer de comprendre ce qui se passe quand on rôtit un poulet. Cette fois, il y a de l'analyse, laquelle peut déboucher sur de l'opératif, des modifications des recettes. Par exemple, si l'on analyse la question de savoir si l'ajout de matière grasse ou de jus sur les suprêmes en cours de cuisson fait ces derniers plus tendres, alors on peut arriver à des modifications de la "recette" : si l'ajout contribue à la tendreté, et dans l'hypothèse où cette dernière est souhaitable, alors on fera l'ajout ; sinon on ne le fera pas (pourquoi faire quelque chose d'inutile).
Dans cette seconde démarche, est-on "spéculatif" ? En latin, la vitre et le miroir sont respectivement specularia et speculum. Le speculator est l'observateur. On ne participe pas à l'opération, mais on la considère.
Est-ce le rôle de celui qui explore des mécanismes de phénomènes ? Est-il simplement un observateur ? Admettons-le temporairement : cela nous conduit à conserver le terme "spéculatif" pour désigner le second type de commentaires.

Le sol sur lequel nous voulions avancer étant affermi, nous voyons que la cuisine peut être abordée d'un point de vue opératif, ou d'un point de vue spéculatif. Et il apparaît - c'est une donnée d'expérience, pas une donnée absolue, mais une donnée à valeur statistique - que nombre de nos "amis" (j'entends par "ami" ceux à qui nous parlons, puisque je propose de ne pas perdre de temps à parler à nos ennemis, conformément à la sentence alsacienne qui dit que, pour manger avec le diable, même une longue fourchette ne suffit pas) sont peu intéressés par les commentaires spéculatifs, ou, inversement, peu intéressés par les commentaires opératifs.

Cela dit, leur intérêt initial importe peu : si la synthèse, la réunion des deux commentaires, se révélait plus "utile" que les points de vue séparés, n'aurions-nous pas intérêt à (1) chercher un moyen de réunir ces points de vue et (2) chercher à montrer à nos amis que cette synthèse est une voie vers laquelle ils gagneraient à aller ?

Pour le (1), c'est ce que j'avais cherché à faire, il y a longtemps, avec mon livre "Révélations gastronomiques" (Belin, Paris, 1997)... mais depuis sa parution, et malgré les encouragements de quelques amis, je reste dans l'idée que la fusion n'a pas été comme on pourrait le souhaiter : le livre est difficile à utilise du point de vue opératif (même si, je le répète, certains amis l'ont largement utilisé), et la "spéculation" est un peu désincarnée, séparée, isolée ; elle apparaît comme gênante, dans la marche opérative.
Une autre tentative remarquable est celle de Madame Saint Ange, avec sa Bonne Cuisine, publiée en 1925 aux éditions Larousse. C'est un livre étonnant, qui sépare bien les parties opératives et spéculatives... mais les sépare. La fusion n'est pas faite.


Il faut donc nous lancer dans une entreprise nouvelle, où nous mettrons en œuvre une méthode nouvelle, conformément à celle que je réclamais déjà de mes voeux dans mon livre Les précisions culinaires (Quae/Belin, Paris, 2012).
Raisonnons. D'abord, il y a un objectif que nous devons identifier clairement : le poulet rôti, par exemple. Cet objectif étant défini, on peut chercher les moyens de l'atteindre, en passant (pardon pour les termes militaires) par stratégie, d'abord, puis tactique ensuite.
Puisque la cuisine, c'est du lien social, de l'art, de la technique, il faudra que les trois aspects soient discutés à chaque étape. Et, pour couronner la chose, pourquoi ne pas proposer une évaluation, laquelle sera la possibilité de progresser, selon la bonne idée du chimiste Michel Eugène Chevreul "Il faut tendre à la perfection avec efforts sans y prétendre" ?


Essayons, avec une recette simple, de sablés.

Objectif : produire de petits gâteaux sablés.

Analyse de l'objectif : des gâteaux sont des préparations faites de farine, de sucre, au minimum, comme chacun sait. Cela dit, le sucre et la farine ne peuvent, une fois cuits, que faire une poudre, qui n'aura pas de liant. Pourquoi ne pas ajouter de l’œuf ? Ce serait mieux, mais la préparation resterait dure : avec un peu de matière grasse, cela ira bien mieux.
Avec ces première analyse, on obtient un résultat qui a du sens, car le sucre est de l'énergie immédiatement disponible, la farine de l'énergie disponible durablement, l’œuf apporte des protéines qui nous constituent, et la matière grasse s'impose pour constituer notre organisme. Les sablés sont donc des friandises nutritionnellement intéressantes.
Cela étant, les sablés doivent être sablés. Or l'eau apportée par l’œuf (un blanc d’œuf, c'est 90 pour cent d'eau et 10 pour cent de protéines ; un jaune, c'est 50 pour cent d'eau, 15 pour cent de protéines et 35 pour cent de lipides) risque de cimenter excessivement la farine, l'eau participant à la formation d'un réseau de protéines nommé "gluten".
Pour conserver le caractère sablé, friable, il faut mettre la farine dans la matière grasse, frotter pour obtenir un sable, ajouter le sucre, qui captera l'eau au détriment du gluten, puis ajouter enfin l'oeuf, qui fera la "soudure" par capillarité, avant cuisson, et coagulation des protéines après cuisson.
Nous avons donc la stratégie. La tactique ? Cela pourrait être le détail des proportions... et là, tout est possible ou presque. Avec des raffinements : par exemple, si l'on grille par avance la farine, ses protéines ne pourront plus faire le réseau de gluten, et le sablé sera friablissime, si l'on peut dire. Une pincée de sel, d'autre part, rehaussera le sucré, affaiblissant l'amer qui pourrait résulter du grillage. Le beurre ? A volonté. De la vanille ? Pourquoi pas. De la cannelle ? Pourquoi pas.
Et ainsi de suite... pour arriver à une proposition : 200 grammes de beurre, 75 grammes de sucre glace, 1 gramme de sel, 1 oeuf entier, 250 grammes de farine.

Ou plus opérativement :
Commencer par griller sous le gril du four 250 grammes de farine jusqu'à ce qu'elle soit blonde. La laisser ensuite refroidir.
Puis, dans une terrine, mettre 200 grammes de beurre.
Ajouter 75 grammes de sucre glace.
Et les 250 grammes de farine grillée refroidie.
Ajouter 1 gramme de sel.
Puis quand toute ces poudres ont été bien amalgamées au beurre, ajouter un œuf, et l'incorporer sans trop travailler.
Abaisser et cuire pendant une dizaine de minutes, de sorte que l’œuf coagule (la durée de cuisson dépend de l'épaisseur des sablés.



A ce stade, la discussion n'a été presque que technique, à l'exception de l'observation nutritionnelle, mais on a manqué toute la partie artistique (par exemple, la pincée de cannelle), et toute la partie de lien social (par exemple, le découpage de la pâte en forme de coeurs, avant la cuisson). Mais c'est sans doute quelque chose qui dépasse ma compétence... et je vous invite à contribuer à l'amélioration de nos sablés en mettant vos commentaires... qui contribueront à l'évaluation envisagée initialement !



















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 9 avril 2016

Quelqu’un qui sait, c’est quelqu’un qui a appris.

Quelqu’un qui sait, c’est quelqu’un qui a appris. Cette déclaration provient d’un chimiste de l’Ecole polytechnique, Michel Fétizon, qui eut de nombreux élèves, et son idée me semble être quand même assez juste : comment saurions quelque chose si nous n’avons pas appris ?

La suite ici : http://www.agroparistech.fr/Quelqu-un-qui-sait-c-est-quelqu-un-qui-a-appris.html

samedi 22 août 2015

Sapere aude

Dans son célèbre essai Qu'est-ce que les Lumières ?, en 1784, Emmanuel Kant donne la définition suivante :  

« Le mouvement des Lumières est la sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. »

Sapere aude

Dans son célèbre essai Qu'est-ce que les Lumières ?, en 1784, Emmanuel Kant donne la définition suivante :  

« Le mouvement des Lumières est la sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. »

mardi 9 avril 2013

Savoirs profanes

En ces temps étranges, il traine l'idée très néfaste et très fausse que la science se confond avec les autres savoirs, notamment les empirismes. Par exemple, je lis :

"les savoirs profanes peuvent exister et contribuer à bâtir des savoirs scientifiques. L'agriculteur qui constate le résultat de certaines pratiques, sans les expliquer biologiquement, peut utilement contribuer au référentiel du chercheur qui va utiliser ces données pour déboucher sur une loi"

Oui, les savoirs profanes peuvent exister (plus exactement, ils n'ont pas à exister, puisqu'ils existent) et contribuer à bâtir des savoirs scientifiques, mais l'empirisme s'arrête précisément... à l'empirisme !

Oui, l'agriculteur constate souvent le résultat de pratiques, qu'il n'explique pas toujours, et oui, ces phénomènes peuvent être explorés par la rechercher scientifique. Et alors ? Cela s'est toujours fait, cela se fera toujours, mais l'empirisme technique restera toujours de l'empirisme technique, et les sciences de la nature sont autrement singulières !

Ce type de discussions renvoie aux critiques des "sciences studies" (disons en français : anthropologie des sciences, pour ne pas dire épistémologie, ce qui est autre chose), mais ces dernières ont beau faire : elles ne convaincront jamais personne du fait que les sciences de la nature, les sciences dites "dures", sont d'une autre nature que certaines sciences de l'homme et de la société (celles qui ne font pas usage de la méthode : observation d'un phénomène, quantification, synthèse des données en lois, recherche de mécanismes, prévision expérimental, tests expérimental de la prévision, en vue de réfuter cette dernière),  certains empirismes, sont des savoirs, mais pas des sciences au sens défini plus haut : pour les sciences de la nature (sciences exactes, sciences dures, philosophie naturelle),  les idées, les imaginations théoriques, les hypothèses sont "balisées" par le recours aux nombrex, au quantitatif, avec l'idée que les théories sont insuffisantes par nature et qu'il faut réfuter pour les améliorer.
C'est une différence essentielle, sans compter la différence d'intention : comprendre pour les sciences, et faire pour la technologie et les techniques.

On entend parler de "forteresse scientiste", mais c'est là penser que les sciences de la nature (sciences dures, philosophie naturelle...) seraient un bastion assiégé ; disons que cela serait le rêve de certains qu'il en soit ainsi, mais cela n'est pas : la philosophie naturelle fait son travail en se moquant des critiques, parce qu'elle n'est pas un être humain, mais une pratique.

Et, mieux, la philosophie naturelle est une pratique singulière, qui ne se confond pas avec les autres savoirs.

mercredi 22 septembre 2010

Question de confiance...

Lors de certaines présentations, il y a quelques années, j'avais besoin de montrer la formule plane d'un composé phénolique, mais je ne l'affichait qu'avec précautions, partant du bon principe que la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public : une formule de chimie, comme une formule de mathématiques, c'est quelque chose d'incompréhensible a priori, et qui doit être expliqué.
Souvent, pour m'amuser, j'expliquais qu'une telle formule "fait savant", en ce sens que les personnes qui ne connaissent pas la chimie ne savent pas la décoder, et, de ce fait, accréditent celui ou celle qui la montrent d'une "science" particulière. Toutefois, j'observais aussi que cette accréditation était peut-être imméritée : n'importe qui pourrait recopier un ensemble de lettres (C, H, O, N...) et de traits pour faire penser qu'il connaît la chimie. Et puis, savant... On l'est ou on ne l'est pas, mais :
1. ceux qui le sont savent assez qu'ils ne le sont pas pour, s'ils sont honnêtes, ne pas le revendiquer indûment
2. le terme est prétentieux, de toute façon!

Bref, je concluais que, hélas, je ne suis pas assez savant.

Cette histoire parce que je vois autour de moi, parfois, des personnes qui font ce que je dénonçais par anticipation : ils vont sur internet (ou ailleurs), captent une présentation powerpoint, et la récitent par coeur, se drapant dans des habits qui ne sont pas les leurs. Evidemment, il faudrait être naïf pour regretter un tel comportement, qui ne date pas d'internet (le plagiat est une bien vieille histoire, et l'on lira ou relira Cyrano de Bergerac -le vrai- à ce propos), de sorte que ce n'est évidemment pas ce que je veux faire aujourd'hui.

Aujourd'hui, je veux discuter la position de l'étudiant, qui assiste à un cours. Un tombereau d'informations lui est déversé dessus... mais ces informations sont-elles justes ? La question est terrible. Pensons, par exemple, à un cours de physique, qui décrirait les phénomènes de façon classique, sans tenir compte des acquis de la mécanique quantique. Ce cours serait "faux", stricto sensu, mais ce serait un moindre mal. Pensons maintenant à pire : un enseignant (comme dans tout corps, il y a du bon et du mauvais) qui enseignerait des choses fausses, telles que j'en ai trouvé dans un récent ouvrage de" vulgarisation de la physique".

La question est : comment l'étudiant doit-il se comporter ?

De ce fait, nous arrivons à la véritable question du jour : quelle doit être l'attitude de l'Etudiant, en général, qui doit avoir la lucidité de penser que, parmi les informations qui lui sont communiquées, certaines sont fiables, et d'autres non? Peut-il vraiment avoir confiance dans les enseignants qui lui sont attribués ?

On rétorquera peut-être que l'Enseignant a le plus souvent une trop haute idée de sa Mission pour donner des informations fausses.... mais les enseignants sont-ils assez savants ? Et puis, ne sont-ils pas les mêmes que les auteurs de publications scientifiques, dont on sait assez que beaucoup sont médiocres, voire mauvaises (je ne parle même pas des fraudes) ?


Plus généralement encore, puisque nous sommes tous des étudiants, comment nous comporter face à un savoir que nous voulons prendre ?