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samedi 25 juillet 2020

Une réponse que je fais à des étudiants

1. Des étudiants avaient analysé le fonctionnement de leur institution de formation, leurs relations avec leurs professeurs, et ils avaient émis un document que j'ai largement analysé dans des billets précédents.
Surtout, je leur avais écrit pour leur dire combien je jugeais leur démarche utile, à poursuivre, et ils s'étaient étonnés que je leur réponde.

J'ai donc répondu à leur réponse :


Chers collègues
Vous ne vous attendiez pas avoir un retour personnel de la part d'un professeur ? Il est vrai que c'est un peu par hasard que vous l'avez, puisque, en réalité,  j'avais vu traîner une copie imprimée de votre document initial, et c'est par une espèce de curiosité mal placée que j'ai vu que vous évoquiez des questions qui me passionnent depuis des années.

Le débat terminologique qui consiste à savoir s'il faut parler d'étudiants, ou de collègues (jeunes, moins jeunes, etc.), ou même d'amis va bien au-delà du clin d'œil, car je suis resté en réalité un étudiant, qui étudie exactement comme je le faisais à l'ESPCI, avec la même fougue, la même passion, la même curiosité, la même naïveté, le même enthousiasme, et la même envie de partager  avec mes amis ce que je découvre... tout comme je l'étais alors (et je me souviens que le corps professoral me trouvait "remuant", dirions-nous par litote).

Mais, surtout, je me suis toujours indigné des mauvais professeurs... Pas seulement ceux qui nous négligeaient, qui considéraient leur mission comme une "charge", mais aussi ceux qui étaient "techniquement" incapables,  ceux qui ne maîtrisaient pas leurs sujets... Ce sont ceux-là qu'il faut empêcher de nuire.

Mais soyons positifs, car s'il y a de mauvais professeurs, il y en a aussi de bons. Que faisons-nous pour les uns et pour les autres ? Comment nous adaptons-nous à des situations notoires ?  Que fait l'institution  pour ne pas punir les élèves en leur infligeant du médiocre... tout en considérant qu'il y a aussi des élèves qui posent des problèmes ?

Là encore, je propose de sortir de la discussion par le haut, en ne restant pas braqués sur des situations particulières, trop nombreuses pour mériter un traitement général, mais en inventant des formes d'études nouvelles.
C'est ce que j'ai fait  à l'Institut des hautes études de la gastronomie, où les auditeurs (qui payent) évaluent les professeurs ; et pour ne pas mettre de bons intellectuels/mauvais communiquants en situation d'échec, nous innovons dans les formes, avec des visites de Rungis, des promenades dans les vignobles, avec des diners historiques, etc. R
ien de pire que ce format où un professeur isolé est en face d'un groupe d'étudiants, rien de plus clivant : oui, il faut changer cette "lutte des classes.

A minima, il y aurait lieu d'avoir des discussions pour rénover sans cesse les formats d'étude. D'ailleurs, comment supporter que  les  formats d'études ne changent pas ? Le système des études supérieurs aurait-il le privilège d'être le seul qui puisse se fossiliser en toute impunité ?
Et puis, plus positivement, j'ai assez dit que pour le professeur comme pour le cuisinier, l'activité a trois composantes  au moins : technique, artistique, sociale...  mais je vous renvoie, pour ne pas allonger la discussion sur ce point, à mon livre intitulé La cuisine, c'est de l'amour de l'art de la technique.

Bref, vous comprenez que j'avais  un intérêt véritable à vous lire et à vous commenter,  d'autant que vous répondiez à des questions que j'avais posées il y a des années, notamment lors d'un "Débat de l'Agro"...  et je trouve anormal que l'institution n'ait pas répondu à nos remarques d'alors.
J'espère qu'elle saura maintenant répondre... mais j'ai des craintes, car certains de mes collègues plus âgés à qui je m'ouvrais de vos observations ont rétorqué en substance que les élèves font périodiquement ce genre d'observations ; alors...

Oui, mais qu'est-ce qui a été fait pour leur répondre ?   De mon côté, j'ai proposé que l'on mette les individus en face de leurs responsabilités : si les étudiants sont capables d'avoir de l'autonomie, donnons-en leur ! Explorons des formats d'études  nouveaux, explorons l'outil numérique,  multiplions les podcasts si c'est un format qui plaît mieux que les amphis,  et ainsi de suite.
Ne supportons jamais de répéter le même cours deux années de suite, car ce serait la démonstration d'une paresse, d'une incapacité, d'une immobilité coupable ;  cherchons à améliorer sans cesse, non pas tous les dix ans, mais tous les jours !

En suivant votre réponse, maintenant : pour ce que pour ce qui concerne votre document, rassurez-vous  (;-)) :  oui, il en ressort bien que vous critiquez certains professeurs ou, du moins, certains "enseignements" (terme que je récuse, voir les billets à ce propo)s. Et cela ne me choque pas,  car quand la critique est constructive, positive, elle permet l'amélioration.
Ce qui m'inquiète, c'est que vos observations tombent début juillet, et que je pressens des départs vers les plages qui feront retomber le soufflé ! Aurez-vous donné un coup dans l'eau ?

Un détail maintenant :  mon expression "suppression des cours obligatoire" était  fautive  : je voulais dire plutôt "suppression de l'obligation d'assister aux cours" (à l'ESPCI, cette suppression a eu lieu en 1977 !).

Puis, il me semble en lisant votre réponse, mais aussi votre document initial, que la première année d'études après un concours pose une vraie difficulté. Je sais que l'on dit (on le dit, mais faut-il le croire) se remettre lentement de la préparation des concours,  tout comme les jeunes médecins admis après le concours de première année, par exemple.
Mais raison de plus pour y mettre le meilleur du meilleur, en termes d'études ! 

Cela dit, très  honnêtement, je travaille aujourd'hui bien plus que quand j'étais en classe préparatoire, de sorte que le fameux prétexte du relâchement après le concours me fait un peu sourire ! Mais qu'importe : oui, il faut donner un peu d'air (ouvrons la fenêtre vers des sujets passionnants), favorisons la socialisation... sans pour autant tomber dans les beuveries hélas trop courantes parmi les petits esprits.

Surtout pouvons-nous imaginer qu'une année sur trois soit perdue ? Je vous dis cela alors que j'ai été un élève bien dissipé de l'ESPCI, et que, passionné par la chimie depuis l'âge de six ans, je n'ai pas su faire tout mon miel de l'environnement merveilleux qui m'était donné une fois entré à l'Ecole.
Raison de plus pour réfléchir à des moyens d'éviter à d'autres de faire cette même erreur. Et cela de façon positive, sans rétorsion, bien entendu.

D'ailleurs, mon analyse rétrospective me fait souvenir que, malgré des soirées souvent bien "occupées", nous restions passionnés par quelques matières merveilleuses, la théorie de la mesure en mathématiques, les calculs de chimie quantique à l'aide des premiers ordinateurs, la thermodynamique hors d'équilibre...
A nous tous, élèves, professeurs, personnel administratif d'inventer des moyens pour qu'il n'y ait pas une année gâchée sur trois. A nous d'inventer des formes d'étude amusantes, stimulantes, socialisantes même ; à nous d'inventer des organisations pour que le corpore sano vienne avec le mens sana ;  à nous d'inventer des formes d'études qui permettent aux  élèves de s'amuser en étudiants, et aux  professeurs de s'amuser aussi, en aidant les élèves à apprendre... mais on pourrait tout aussi bien dire "pour que les professeurs s'amusent, et les élèves aussi".

En vous lisant à la suite, je vois l'expression "projet professionnel", alors que j'avais écrit "projet personnel".  Nous voulons sans doute dire la même chose, mais je préfère ma formulation, qui ne sépare pas le travail professionnel de la vie, car je déteste l'idée d'un métro-boulot-dodo qui fait toujours apparaître le travail comme une punition. Comme je vous l'ai dit précédemment, mon métier est si passionnant que je n'ai même plus besoin de prendre de vacances. Dans votre document, vous évoquez bien des matières stimulantes intellectuellement, et nous nous rejoignons.

A propos des séances de l'Académie d'Agriculture  : oui, vous avez raison de signaler qu'elles sont souvent passionnantes, car en réalité, elles s'apparentent à des regroupements de conférences de type TED sur un thème  (je le sais, puisque j'en organise). Avec ces séances, nous voulons donner  le meilleur aux auditeurs, et je parle d'auditeurs à bon escient,  car nos séances sont podcastées. Et si nous avons là le meilleur, pourquoi ne pas en faire profiter les étudiants, leur donner ipso facto le meilleur  ? Nous éviterions la critique des "mauvais enseignements" (puisque le meilleur), et il serait facile d'organiser des formats d'études fondés sur le visionnage de ses documents vidéo.

Arrivons maintenant à vos mots à propos de "cursus généraliste"  : je viens de faire un billet où je discute ce terme de "généraliste"... mais, surtout, je fais partie de ceux qui pensent que les ingénieurs ne font bien leur métier que s'ils ont une formation théorique solide (voir l'ESPCI). Cela est également vrai des étudiants qui deviendront scientifiques. Quant à ceux qui seront banquiers, assureurs, voire ministres, ils gagneront à bien connaître les faits sur lesquels ils érigent leurs activités, quitte à ce qu'ils épaulent physique, chimie ou biologie par des matières plus appropriées à leur projet... sans tout confondre : ceux qui veulent faire Sciences Po n'ont qu'à y aller  (et pourquoi pas avec des doubles diplômes ?).

Vous parlez ensuite de la difficulté d'intéresser plusieurs centaines d'étudiants...  mais pourquoi vouloir se lancer dans de vaines entreprises ? Si les goûts diffèrent, n'est-ce pas aller dans le mur que de chercher à leur imposer une unique direction ? C'est le sens de mon analyse sur les "études matricielles", dans un billet précédent.

Et puis, ce qui compte, c'est moins de "recevoir" que d'apprendre : invitons les élèves à créer leur propre chemin, et, surtout, à bien identifier leur projet, en les exposant le plus tôt possible à des sujets variés, qui facilitera leur choix s'il n'est pas fait par avance. Proposons leur des fleurs, afin qu'ils fassent leur propre bouquet, l'institution ayant aidés les individus dans l'art du bouquet.

A propos d'une banque de cours, celle-ci a existé par le passé entre toutes les écoles de ParisTech et c'était absolument merveilleux. Inutile de vous dire que j'y ai largement contribué.
Aujourd'hui nous avons les Cours en ligne d'AgroParisTech (où j'ai personnellement mis des dizaines de cours, en plus de podcast),  de sorte que  l'outil nécessaire pour faire ce que vous demandez et que je propose aussi n'est plus à créer  : il existe !

A propos de parrainage : peut-on trouver 320  parrains ? D'abord, on peut imaginer qu'un même parrain ait plusieurs filleuls, et ensuite, oui : le total des personnes permanentes à l'Agro est supérieur à 320. D'autant que l'on peut sans doute compter sur des chercheurs Inrae dans les UMR, et que l'on pourrait recruter des anciens élèves  ! Soyons inventifs, et trouvons des solutions.

Enfin, les travaux pratiques : je suis certain que, si la chose s'impose, alors elle s'impose. L'intendance doit suivre, et à nous, à nouveau, d'inventer des formes adaptées à nos possibilités.

Bref, je ne vois que des opportunités de faire évoluer des formats qui  sont trop longtemps restés figés : nous sommes à l'ère du numérique, et nous n'avons pas la possibilité de ne pas utiliser ces méthodes pour faire mieux qu'au Moyen Âge.

vendredi 24 juillet 2020

Tu viens avec une question, mais quelle est ta réponse ?

1. On parle de clichés pour des expressions, mais il y a des idées (opinions ?) qui en sont : propagées sans analyse, sans réflexion, ne prenant leur force que de leur répétition, & révélées creuses dès qu'on les examine un peu. Par exemple, il serait bon d'avoir des questions, et ce serait d'ailleurs mieux que de ne pas en avoir.
Oui, poser des questions est bien... quand elles sont pertinentes, fructueuses, actives.

2. Car il y a des questions idiotes, et est idiot celui qui les pose, simplement pour le poser. Le jeux tout formel de poser des questions est insensé, quand ces questions sont sans intérêt, quand elles sont hors de cadre cohérent, sans objectif.

3. Il y a aussi des questions simplement informatives : combien de protéines dans un blanc d'oeuf ? Et la réponse peut être le nombre de protéines différentes (une vingtaine de sortes, pour les principales), ou le nombre de molécules de protéines (à raison d'une masse molaire moyenne de 45000, d'une masse de 30 grammes de blanc, d'une proportion de 10 pour cent de protéines, on calcule un nombre de molécules de protéines voisin de 1000 milliards de milliards), ou la proportion en masse des protéines (environ 10 %)...

4. Et inversement, il y a des questions éminemment positives, comme de s'interroger sur les non linéarités de la conduction électrique, ce qui a conduit à la découverte de l'effet Hall quantique.

5. Mais, surtout, j'ai l'impression que la question vaut mieux par ce qu'elle engendre que par elle-même, et qu'elle est plus intéressante quand on l'examine soi-même que quand on la pose aux autres. Au fond, pourquoi se reposer sur autrui pour avoir la réponse, alors qu'on peut avancer en la posant, en la triturant, la ruminant, la faisant sienne ?

6. Dans notre laboratoire, il y a ainsi écrit sur la porte : "Tu as une question, mais quelle réponse proposes-tu ?". Si je réponds à mes amis, c'est moi qui fait un bénéfice (parfois faible) de la réponse, au lieu qu'ils gagnent en autonomie.


lundi 10 juin 2019

Répondre à un examinateur


Comment se comporter devant un examinateur ?

Je propose deux cas :
- celui où le candidat sait répondre à la question posée,
- et le cas où il ne sait pas.
1. S'il sait répondre, l'affaire est assez facilement réglée, mais attention à ne pas laisser une perle dans le fumier. Quand on sait répondre, on a intéret à prendre le plus grand soin à bien mettre en valeur la réponse. Par oral, on ira droit au but, sans hésitations. Par écrit, on ne manquera pas de soigner l'écriture, la mise en page, l'orthographe...

2. Si le candidat ne sait pas répondre, tout n'est pas perdu, car il y a toujours cette merveilleuse métaphore du taureau qui fonce quand on agite devant lui un torchon rouge : l'examinateur étant un enseignant, son but est de voir l'apprenant réussir à apprendre. Autrement dit, le candidat doit montrer qu'il a appris, même s'il n'a pas spécifiquement appris le point qui lui est demandé et qu'il ignore.
A savoir aussi : il y a des cas où l 'on veut un ordre de grandeur, et d'autres où l'on cherche une solution exacte. En début de réponse, bien se demander dans quel cas on est.
Plus généralement, il y a des points importants :
- ne pas sauter sur la réponse en coupant la parole à l'examinateur, et ne pas rester silencieux trop longtemps quand la question a été donnée. Dans le premier cas, on montre qu'on n'est pas sûr de soi (surtout si on ne sait pas !), et, dans le second, on risque de faire penser qu'on est imbécile. Il y a un bon dosage à trouver : un temps de réflexion qui montre que l'on sait réfléchir, puis on répète la question posée, calmement, mot à mot, ce qui donne des pistes pour y réfléchir.
- ne pas chercher à bourrer le mou de l'examinateur : rien n'est plus déplaisant que quelqu'un qui ignore la réponse à la question mais, avec beaucoup d'aplomb, cherche à nous faire croire qu'il sait.
- prendre du recul... ce qui conduit parfois à trouver la solution qu'on ignorait.

Et c'est là où ce billet peut (souhaite) être utile. Oui, répétons la question, en nous demandant d'abord - à voix haute- si l'on nous demande une solution formelle (des équations), ou bien un ordre de grandeur, ou bien un résultat numérique juste. Cela, c'est de la stratégie, et ça montre que l'on a du recul sur la question et sur l'examen en général.
Puis il faut soliloquer (voir cela dans d'autres billets), à savoir prendre chaque mot de la question comme on prendrait un fil d'une pelote de laine : on dit le mot, on le considère (toujours à voix haute), et l'on dévide ce que l'on sait à propos de ce mot. Par exemple, supposons que l'on soit interrogé sur la différence de température entre le bas et le haut de la tour Eiffel  par un examinateur  qui attend des calculs de thermodynamique classique, on peut évoquer les mots "hauteur", "atmosphère", puis penser (toujours à voix haute) que la pression diminue avec l'altitude, évoquer la relation des gaz parfaits, et, surtout, évoquer la thermodynamique classique, laquelle est une science qui considère des équilibres, et qui discute les phénomènes en termes d'énergie, et ainsi de suite : tout ce que nous aurons dit ne suffira pas à répondre la question, mais nous aurons montré que nous ne sommes pas totalement ignorants.


Un exemple ?


Soit la question « Combien de cheveux sur ma tête ? ».
Une mauvaise réponse est un «  je ne sais pas », qui n'a que le mérite de l'honnêteté (2/20 ?).
Une autre mauvaise réponse est « dix millions », parce que c'est du bluff idiot.
Le mieux, c'est quand on analyse la question, qu'on la remâche.
Des cheveux sur la tête ? On fait un dessin, on voit que les cheveux sont désordonnées et à des distances variées, donc on fait un modèle simplificateur, en les plaçant aux sommets d'un réseau, carré si possible.
Puis on fait une hypothèse : disons que les cheveux sont espacés de un millimètre, ce qui en fait 100 par centimètres carré. A raison d'une tête de 20 centimètres par 20 centimètres, cela fait 400 centimètres carrés, et l'on triplera pour considérer la nuque et les côtés, soit 1200 centimètres carrés, soit finalement 120000 cheveux.
Là, l'ordre de grandeur est bon, et il faudrait être mal intentionné pour récuser une telle réponse, surtout si elle est énoncée aimablement (autant être poli : cela ne coûte rien).

Évidemment, il est bon de savoir que les meilleurs sont ceux qui savent répondre à toutes les questions... parce qu'ils ont déjà considéré toutes les réponses... d'autant que, s'ils étaient face à une situation nouvelle, ils seraient armés pour répondre, mais puisque tous ne sont pas ainsi, au moins, je serais heureux de contribuer à les aider.

dimanche 30 décembre 2018

Idéal n'est pas culinaire

Dans la série des questions qui m'arrivent, il y a celle-ci, passionnante :

Quelle est la température idéale pour infuser de la truffe noire dans de la crème ?

D'abord, félicitons notre ami de disposer d'une truffe, parce que c'est quand même vrai que c'est un diamant noir. Bien sûr, il y a truffe et truffe, et celles de Chine sont des fraudes qui n'arrivent pas à la cheville de celles du Périgord, par exemple ; pis, ce sont des consistances avec très peu de goût.
Mais supposons donc que notre ami ait une "belle" truffe, une truffe qui a une odeur de... De quoi, au fait ? J'ai eu la chance, le jour où j'ai reçu le Grand Prix international de la gastronomie, d'être convié à Barcelone dans un lieu féérique où deux immenses tables étaient couvertes de truffes. Nous en avons mangé toute la soirée : crues, cuites, avec des œufs brouillés, comme mouillettes dans des œufs à la coque... au point que nous sentions encore la truffe le lendemain matin ! Mais surtout, ce fut pour moi l'occasion (pendant les longs discours) d'en prendre, une à une, pour les sentir. Et j'ai ainsi constaté que toutes avaient des odeurs différentes : de terre, de moisissures, de champignons, de chocolat, de café... De sorte que je suis en mesure de dire aujourd'hui que l'odeur de LA truffe n'existe pas.

Mais supposons une truffe dont nous voudrions faire passer le goût dans la crème. Là, ce n'est pas seulement l'odeur, due aux composés odorants, mais aussi les composés sapides, les composés à action trigéminale... Ce qui pose la question d'appauvrir la truffe en enrichissant la crème. Car en matière de composés, rien ne se crée et rien ne se perd : tout ce qui passe dans la crème est perdu pour la truffe. Bien sûr, on peut faire l'hypothèse que la truffe est assze riche pour ne pas craindre de perdre un peu, mais quand même : la question doit être posée.

Et nous arrivons maintenant à la question de notre ami. Pour y répondre, je propose de considérer le cas du thé : si l'on met des feuilles dans de l'eau à froid, on extrait certaines molécules, mais si l'on met à chaud, pendant quelques instants, on extrait surtout des composés  odorants ; et si l'on met à très chaud pendant longtemps, on extrait à la fois des composés odorants, des composés sapides, et des composés astringents.
Idem pour le poivre, qui libère son beau piquant frais quand on le met moins de huit minutes dans un liquide bouillant, mais qui devient astringent et un peu amer quand on le laisse séjourner plus longtemps.
Pour la truffe, aucune raison qu'il en soit différemment : à chaque couple (temps, température), on a un résultat différent, même s'il est vrai qu'il y a plus d'extraction à chaud qu'à froid.


L'idéal ?

Et la température idéale ? En matière de goût, j'ai fini par comprendre que cela n'existe pas : le bon des uns est un mauvais pour d'autres, et, de toute façon, le goût change avec les circonstances, l'état de jeune ou de satiété, l'heure de la journée, le climat, la température... Notre idéal est... un idéal, une idée que nous nous faisons et qui n'est pas nécessairement juste. Or j'étais interrogé techniquement, pas sur le plan du beau à manger (le bon, en l'occurrence), où je ne peux faire état que de choix très personnels, très idiosyncratiques.
Je prends l'exemple de ces œufs à basse température, que j 'ai introduits il y a quelques décennies. Naïvement, je les avais introduits sous le nom d'"œuf parfait", par opposition au mauvais oeuf dur. Mais en réalité, les œufs à 64 °C trouvent leur utilité dans certains plats, et les œufs à 68 °C s'imposent dans d'autres circonstances. Pas d'idéal dans l'affaire, même si j'aime beaucoup, dans l'absolu, l’œuf à 67 °C.



Et voilà une longue réponse pour une courte question... mais c'est ainsi que la cuisine est belle, non ?

vendredi 16 novembre 2018

Je ne crois pas avoir répondu à de telles questions, par le passé, donc je m'y mets

Je ne crois pas avoir répondu à de telles questions, par le passé, donc je m'y mets


Les questions, en bloc :
Bonjour M.This, nous sommes trois élèves de 1ère scientifique. Dans le cadre des Travaux Pratiques Encadrés, nous nous permettons de vous envoyer le mail suivant car notre sujet de TPE est en adéquation avec vos compétences.  En effet, notre problématique est la suivante: "En quoi les fruits et les légumes peuvent remplacer certains ingrédients du gâteau au chocolat sans en dénaturer le goût ?"
Nous avons vu sur Internet que le sucre, le beurre et l’œuf peuvent être substitués par deux légumes et un fruit. Il est peut-être possible de remplacer le sucre par de la betterave car certains sucres achetés au magasin sont extraits de la betterave sucrière. Ensuite, comme le beurre, la courgette apporterait du moelleux au gâteau, des fibres, des vitamines, des matières non grasses, du fondant, etc. Enfin, la banane et l’œuf sont tout deux composés de beaucoup d'eau, ainsi que des minéraux et des protéines. La banane donnera une croûte craquante et un gâteau moelleux.
En ce qui concerne la cuisson, nos recherches ont aboutit à plusieurs résultats: la banane est idéale cuite mûre et très bien écrasée. La betterave, elle, peut être cuite jusqu'à ce que son cœur soit tendre. On peut également la mixer avec du lait. Pour ce qui est de la courgette, on peut la rapper avant d'ajouter son jus dans la préparation.
Nous avons quelques questions à vous poser, si vous avez bien évidement l'amabilité et surtout le temps d'y répondre: Tout d'abord, d'après vos connaissances et vos expériences, confirmez-vous les informations présentes ci-dessus (concernant les remplacements d'ingrédients et les stratégies de cuisson)? Avez-vous des petites corrections ou des renseignements à ajouter ?
Ensuite, avez-vous déjà tenté de réaliser des expériences similaires ? Si oui, avez-vous des résultats à nous communiquer ou des astuces qui pourraient nous êtres utiles sur la cuisson (température, temps...) ou sur les proportions par exemple ?
Merci d'avoir pris le temps de lire notre mail (si vous l'avez lu) en espérant une réponse de votre part, d'autant plus que nous apprécions beaucoup votre travail . En effet, nous avons feuilletés deux de vos livres que nous avons trouvé très passionnant: Les secrets de la casserole et Traité alimentaire de cuisine.


Commençons donc par la question : En quoi les fruits et les légumes peuvent remplacer certains ingrédients du gâteau au chocolat sans en dénaturer le goût ? Comme je cherche toujours à bien comprendre, j'analyse... et je ne comprends pas le "En quoi". En effet, pourquoi n'écririons-nous pas plutôt  : les fruits et les légumes peuvent-ils remplacer certains ingrédients du gâteau au chocolat sans en dénaturer le goût ?
En relisant la question nouvellement formulée,  mes petits "radars" internes me font tiquer sur "le" gâteau au chocolat. En effet, il y a mille gâteaux au chocolat, puisqu'il y a des milliers de gâteaux différents (génoise, cake, etc.) que l'on peut ensuite parfumer au chocolat ! Ces gâteaux sont le plus souvent faits de farine, de sucre, d'oeuf, de matière grasse, avec d'autres ingrédients, tels que poudre d'amande, chapelure, etc.
Remplacer la farine ? La farine est faite d'amidon et de gluten, pour simplifier. Souvent, le gluten n'est pas utile, et l'on peut donc remplacer la farine par la fécule de riz, de pomme de terre, de manioc, de lentille, etc.
Si l'on veut remplacer le gluten, pourquoi pas l'oeuf... qui est déjà présent dans de nouveaux gâteaux.
Remplacer l'oeuf ?  Ce dernier apporte de l'eau, des protéines coagulantes, des matières grasses. On peut remplacer l'eau de l'oeuf par n'importe quelle solution aqueuse : bouillon, thé, café, vin, jus de fruit ou de légume... On peut remplacer les protéines coagulantes de l'oeuf (voir la composition sur mon site https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/) par des protéines végétales ou animales variées, notamment les protéines sériques du lait. Et l'on peut remplacer la matière grasse de l'oeuf par n'importe quel beurre, huile, crème (qui apporte de l'eau).
Remplacer le sucre ? Là, il faut donc savoir que le sucre de table n'est qu'un des sucres, mais, pour sucrer, les édulcorants sont abondants : aspartame, fructose, etc.
Et la seule chose que l'on ne pourra pas remplacer, donc, c'est le chocolat, sans quoi, si l'on fait un "gâteau au chocolat" sans chocolat, ce sera malhonnête.

Je poursuis. J'ai souri en lisant "Il est peut-être possible de remplacer le sucre par de la betterave car certains sucres achetés au magasin sont extraits de la betterave sucrière." Oui, j'ai souri, car le sucre acheté au magasin est quasi exclusivement extrait de la betterave ! Mais surtout, cela me fait penser que j'ai oublié de commencer mon billet en posant à nos amis la question : pourquoi voulez vous faire ces remplacement ? Parce que faire compliqué au lieu de faire simple n'est sans doute pas une bonne stratégie ! Oui, je comprends que certains (maladie coeliaque exclusivement) voudraient éviter le gluten, que certains puissent être allergiques à l'oeuf, mais ce ne sont pas les mêmes.
De sorte que j'ai du mal à avancer dans ma réponse  : l'objectif n'est pas clair, et je n'ai pas de raison d'aider des personnes qui font quelque chose d'incohérent. A moins que des précisions légitimes (j'insiste) ne soient données.
Parce que, quand même, remplacer le sucre par la betterave, pourquoi pas, mais la betterave apporte du goût, en plus des fibres, de sorte que  le goût du chocolat sera certainement modifié. Autrement dit, la meilleure façon de remplacer le sucre, ce serait d'extraire le sucre... de la betterave (j'avais dit que je souriais).

Puis, oui : "Ensuite, comme le beurre, la courgette apporterait du moelleux au gâteau, des fibres, des vitamines, des matières non grasses, du fondant, etc"... mais la courgette n'apporte pas le même moelleux que le beurre, et, surtout, elle  n'apporte pas le bon goût de beurre. Un gâteau au chocolat et à la courgette : le goût du chocolat est modifié ("dénaturé", comme disent nos amis). J'ajoute, d'ailleurs, que l'on ne mange pas un gâteau au chocolat pour les vitamines, mais pour le gras et pour le sucre, plus le goût de chocolat : soyons honnêtes avec nous-mêmes.

J'ai donc répondu. Aimablement ? Pas sûr... mais en souriant, toujours en souriant. Et, plus sérieusement, je crois que nos amis devraient reformuler la question, pour les raisons exposées plus haut. Pourquoi ne s'intéresseraient-ils pas à la cuisine note à note, plus de leur temps que ces contorsions d'un âge ancien, révolu, périmé  ?


PS. Mon livre s'intitule Traité élémentaire de cuisine, et non pas Traité alimentaire de cuisine.


mercredi 1 juin 2016

Tu viens avec une question, mais quelle est ta réponse (utilise la méthode du soliloque)

Au laboratoire, ma porte est ouverte en permanence,  car je veux que mes amis puissent venir me parler de science à tout instant. Pour autant, sur la porte, il y a cette inscription « Tu viens avec une question, mais quelle est ta réponse ? »,  et, en dessous, il y a  marqué : « Utilise la méthode du soliloque ». A quoi cela rime-t-il ?

La question posée, si l'on peut dire


Nous sommes bien d'accord : mon objectif est de grandir et d'aider mes amis à grandir également. Grandir, cela signifie être autonome, tenir sur ses deux  jambes. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas discuter avec nos amis, mais n'aurions-nous pas raison de chercher à être indépendant, à penser par nous-mêmes?
Dans nos travaux scientifiques, l'objectif est d'arriver à produire de la science de bonne qualité, collectivement bien sûr, mais aussi individuellement. Albert Einstein n'avait pas besoin de grand monde pour l'aider à produire de la science, pas plus que Michael Faraday, ou Paul Dirac, ou Galilée. Même sans nous comparer à de tels grands anciens, nous pouvons avoir l'ambition de bien faire, ce qui impose que nous y pensions (toujours, y penser toujours). De ce fait, je crois que c'est une mauvais position, pour les étudiants, que de venir poser leurs questions et recevoir les réponses à ces questions. N'est-il pas préférable qu'ils cherchent eux-mêmes les réponses, et apprennent à trouver ces dernières ?  Évidemment, pour ne pas faire de catastrophe, ils pourront soumettre les réponses qu'ils auront trouvées, afin que l'on corrige des fautes éventuelles, qu'on les remette sur la bonne voie s'ils se sont fourvoyés. Après tout, les professeurs ont pour eux l'avantage des années, ce qui signifie en pratique d'avoir  déjà fait un très grand nombre d'erreurs  et, les ayant analysées, d'être capable de ne pas les refaire.
C'est donc cela que je propose aux étudiants : chercher les réponses aux questions qu'ils se posent, trouver ces réponses, et les soumettre, à moi ou aux autres membres du Groupe de gastronomie moléculaire.

On ne rejette pas des amis !

En réalité, cette dynamique (j'avais écrit "règle", mais le mot "dynamique" représente mieux l'état d'esprit de notre groupe de recherche)  n'est pas venue immédiatement, mais je l'ai instaurée quand j'ai vu que certains se reposaient entièrement sur les autres, et que, de de fait, ils perdaient  l'intérêt de leur stage, qui, selon la loi, consiste à transformer des connaissances en compétences.
J'avais donc d'abord écrit sur la porte : « Tu as une question, mais quelle est ta  réponse ? ». A cette proposition, certains de nos jeunes amis m'ont dit assez justement que s'ils venaient m'interroger, c'est précisément qu'ils n'avait pas la réponse. L'avaient-ils cherché assez ? Je ne sais pas, mais il est vrai que, au minimum, je devais leur demander s'il avait cherché assez. C'est donc  ce que j'ai d'abord fait, mais certains sont alors revenus après un long moment en ayant « séché » : malgré du temps passé,  ils n'arrivaient  pas à trouver la réponse, parce qu'ils leur manquait une méthode pour chercher et pour trouver.
C'est alors que j'ai mis au point cette « méthode du soliloque » qui est au  minimum une pratique correcte de chercher, laquelle conduit presque immanquablement à trouver.

Qu'est-ce que cette méthode ?

Elle est fondée sur l'observation selon laquelle nos tête sont pleines de pensées tourbillonnantes, qui nous empêchent de nous focaliser sur les questions que nous devons analyser. D'autre part, l'exercice de la pensée met en oeuvre au moins de la déduction et de l'induction, et si l'induction est quelque  chose de bien difficile, la déduction devrait être à la portée de tous… à condition de bien s'y prendre. La méthode  du soliloque se fonde sur  une  hypothèse due à l'abbé Condillac et reprise par Antoine Laurent de Lavoisier, qui consiste à supposer que les pensées sont véhiculées par des mots. De la sorte, en considérant bien les mots, nous pourrions corriger nos erreurs intellectuelles, et progresser dans l'analyse des questions.
L'analyse du soliloque  propose en substance d'analyser par écrit les  raisonnements que nous faisons à propos de questions que nous nous posons. C'est une  méthode très efficace,  qui est développée  dans des documents mis en ligne et que j'ai fini par proposer aux étudiants qui venaient  m'interroger.

On se souvient que je propose de penser qu'il y a des obligations de moyens ou des obligations de résultats. L'obligation de résultats n'est pas demandée aux médecins, par exemple, parce qu'ils ne peuvent pas garantir qu'ils sauveront les patients de la mort.  En revanche, les médecins ont une  obligation de moyen, ce qui signifie qu'ils doivent connaître les bonnes pratiques de leur profession et les mettre en oeuvre. Les étudiants  étant... des étudiants, je ne leur demande pas des résultats, mais seulement d'apprendre. Et, apprendre, c'est (pour ceux qui n'ont rien de mieux à proposer) mettre en oeuvre la méthode du soliloque,  afin de devenir progressivement capable de trouver les réponses aux questions que l'on se pose.

Ce qui est merveilleux, avec cette proposition de mettre en oeuvre la méthode du soliloque, c'est que progressivement,  les étudiants parviennent vraiment à trouver des réponses aux questions qu'ils se posent. Au pire, ils ont appris la méthode du soliloque,  c'est-à-dire une analyse fondée sur un usage sain des mots.. ce qui est quand même un bon début, à défaut d'être le résultat visé.

vendredi 21 août 2015

Bâtir une question

Comment répondre à des questions  ?
Si notre objectif est de bâtir un savoir comme on construit un bouquet, alors il est indécent de répondre à la question de façon animale. Quelle est votre couleur préférée ? Bleu. C'est l'animal en moi qui parle, et je me dois aux êtres humains à qui je m'adresse de leur parler en être humain, pas en animal. Je ne peux donc pas répondre "bleu".
D'autant que :
 - cela n'a aucun intérêt : je perds mon temps et je le fais perdre à mes interlocuteurs
 - c'est faux : il existe une infinité de nuances de bleu différentes, et, en répondant, bleu, je fais une réponse soit désinvolte, soit négligente, donc impolie.

Il faut donc vraiment que je réponde mieux.  Comment ?

Analysons la question: on me demande ma couleur préférée, mais pourquoi ? Dans une vision irradiante de l'individu,  je dois me dire que ma réponse doit avoir un intérêt. Je dois bâtir ma réponse, et je dois donc également supposer, par égard à mes interlocuteurs, qu'ils ont une intention derrière la question. Laquelle ?
Parfois, mes amis veulent avoir une vision  plus intime de moi, ce qui est une façon louable de construire de la socialité. Mais est-il bien raisonnable de confondre l'animal tapi en nous avec l'intime ? Je n'arrive pas à le croire, et la question est donc d'identifier un intime utile, en quelque sorte.
Mon intime personnel (si l'on peut dire) tient tout entier dans ma devise, affichée sur tous mes murs (de sorte que cet intime ne l'est pas beaucoup, ou, dit autrement, que je suis très impudique) : Mer isch was mer màcht, nous sommes ce que nous faisons.
Aimer le bleu n'est qu'un état, pas le résultat d'un travail. Alors ? Alors cette discussion méconnaît aussi la connotation des couleurs, et le fait que les goûts sont souvent appris, et n'existent souvent que  par juxtaposition et contingence. Le chimiste Michel Eugène Chevreul, quand il a énoncé sa loi du contraste simultané des couleurs, ne disait pas autrement, pour la question des juxtapositions. Pour les contingences, on gagnera à savoir que le phénomène d'alliesthésie négative : nous aimons de moins en moins un aliment que nous mangeons.

Parfois, aussi, les questions sont des occasions de lien social, des prétextes. Autant, alors, apprendre à rayonner "à partir" de faits anodins, et donner à nos amis la substance que nous avons été chercher pour eux. Le bleu est une caractérisation faible, et la science, notamment, en donne des précisions, et c'est tout un cours que nous pourrons faire.  Serons-nous alors barbant, pédant ?
A nous de nous efforcer de ne pas l'être ; à nous de bâtir un discours charmant... mais je m'aperçois que je suis bien moralisateur, et je me reprends aussitôt : à moi de faire ainsi. Pour vous, comment ferez-vous ?

jeudi 6 août 2015

Réponse à un correspondant

 Ce matin, je reçois ce message :
Décidément, le journal xxxxx s'intéresse à la santé. Je ne sais si vous avez vu l'article sur le thème de la cuisine moléculaire. Il est sévère quant aux risques, et aux incidents "d'empoisonnement" réels survenus en nombre chez les "chefs" célèbres.
En fin d'article, H. Thys est cité, d'une façon tout à fait neutre, comme le précurseur scientifique sur les travaux duquel cette forme de cuisine est assise.
Il me semble qu'il y ait là une image d'un problème réel : le passage de la science à la technique et sa diffusion, puis de cette diffusion sans compétence au marketing et à la communication.
Est aussi soulevé l'hyper-spécialisation du jugement sur les  techniques ; ici, on cuisine "à froid" , mais on ne veille pas au développement des bactéries qui se multiplient en toute liberté, et les médias sont aveuglés.
Cordialement.
CB

Comme d'habitude, je réponds publiquement, puisque je n'ai rien à vendre, rien à cacher... sauf le nom du journal où figure l'article désigné : l'article étant un torchon, le journal qui l'a publié n'est pas d'une honnetêté parfaite, de sorte que je me refuse à faire de la publicité... tout comme je ne cite pas les journalistes auteurs de l'article, parce que je ne parle pas aux roquets.
Phrase à phrase, maintenant, voici la réponse à mon correspondant :

 1. Oui, le journal xxx s'intéresse à la santé. D'ailleurs, tous les journaux s'intéressent à la santé. Le palmarès des hopitaux, le scandale des honoraires des médecins, les déserts médicaux, le coût des mutuelles... C'est de l'ordre du marronnier.

2. Oui, j'ai vu l'article sur la cuisine moléculaire... et ce qui est amusant, c'est qu'il ressemble comme deux gouttes d'eau à un article des mêmes journalistes il y a deux ans, et que, comme ces articles, il est plein d'erreurs. Par exemple, il ne dit pas que, pour ce qui concerne Heston Blumenthal, l'enquête des services vétérinaires avait finalement établi que tout était venu des huîtres ! L'article confond donc tout, de la cuisson basse température avec les additifs, oubliant que le braisage est une cuisson à basse température, et  que le caramel est un additif. Bref, un article minable, par des journalistes pas complètement honnêtes (rien que la "généralisation" est une faute).
Cela étant, cela fait longtemps que j'ai signalé aux chefs qu'il était dangereux de cuire à des températures trop basses (par exemple 65 °C), et je ne cesse de signaler des risques de tous ordres, les pires étant sans doute les métabolites secondaires des végétaux. Et cela, ce n'est pas de la cuisine moléculaire ! Je m'inquiète, par exemple, de voir la peau des pommes de terre servie avec les tubercules, alors qu'une étude récente a montré que le seuil de toxicité en glycoalcaloïdes est atteint au Pakistan, pour la cuisine de rue (ces alcaloïdes résistent très bien aux températures de friture par exemple). Par exemple, je m'inquiète de voir des infusions d'estragon dans l'alcool (le méthyl chavicol est soluble dans l'éthanol, et très toxique), ou des macérations  de grappes de tomates dans l'huile (ce qui extrait un composé toxique), sans parler des plantes dont on ne sait pas bien la toxicité.
Ces pratiques "traditionnelles" ne justifient pas, évidemment, les mauvaises pratiques de cuisine moléculaire, mais c'est moins le principe que son application qui est en cause : un steak trop salé, cela ne condamne pas le steak grillé en général, mais un steak trop salé en particulier.
Donc, pour terminer : "incidents d'empoisonnement réels", c'est discutable ! Sans parler du fait que l'on ne mets pas ces incidents en face de ceux qui ont lieu soit à domicile (personne n'en fait un article), soit dans des restaurants moins célèbres.

3. Mon nom n'est pas H. Thys, mais H. This. Et oui, je suis  bien à l'origine de la cuisine moléculaire, cuisine dont je rappelle la définition "cuisiner avec des ustensiles modernes".

4. "Il me semble qu'il y ait là une image d'un problème réel" : une image d'un problème, ou bien un  problème ?

5. le passage de la science à la technique : oui, c'est toujours là une question terrible. La découverte de l'atome, et la bombe atomique ; la découverte de l'électricité et la chaise électrique ; la découverte des micro-organismes et des attaques à l'anthrax ; la découverte du feu et les incendies... Je maintiens que les responsables d'un acte condamnable sont ceux qui ont fait cet acte, et non les scientifiques qui ont fait la découverte. Pierre et Marie Curie ne sont pas responsables d'Hiroshima !

6. Pour la partie diffusion, marketing, communication, c'est un trop gros morceau, et cette partie de la lettre est trop floue pour que je réponde quelque chose de raisonnable, en peu de mots.

7. "l'hyperspécialisation du jugement sur les techniques" : je ne sais pas ce que cela signifie, donc je ne peux pas répondre.

8. on "cuisine à froid, mais on ne veille pas au développement des bactéries : à noter qu'une salade de carottes, c'est cuisiner à froid, donc rien de nouveau sous le soleil, de ce point de vue. En revanche, les professionnels doivent faire attention, et c'est la raison pour laquelle l'Education nationale promeut la méthode HACCP.

9. les médias sont aveuglés : que cela signifie-t-il ?

Voilà, j'espère avoir répondu correctement, mais si je ne suis pas clair, merci de me le dire, pour que j'ajoute des explications.