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dimanche 14 mai 2023

Vous avez dit "science et cuisine" ?

 Je viens de comprendre que l'expression "sciences et cuisine" est un vaste fourre-tout. 

 

Car qu'est-ce que la "science" ?  

Il y a la science du cordonnier, la science du cuisinier, la science du maître d'hôtel... Et tout cela c'est du savoir. 

Comment refuser à des métiers techniques et artistiques d'avoir du savoir ? 

À côté de cela, il y a des sciences de l'humain et de la société  : de l'histoire, de la géographie, de l'anthropologie, de la sociologie, de l'économie...  Il s'agit  là bien autre chose que les sciences de la nature, lesquelles sont la chimie, la physique, la biologie... 

 

Parler de "science et cuisine", c'est donner la possibilité à tous ceux qui s'intéressent à la cuisine, plus exactement à la gastronomie, de se réunir... mais pourquoi ne pas simplement parler de "gastronomie", puisque c'est le juste terme ? 

Science culinaire ? Cette fois, il y a un risque à confondre les sciences culinaires et les sciences de la cuisine, ce qui doit nous faire penser à cette faute signalée dans les livres de grammaire : pour ceux qui parlent correctement, il y a lieu de ne pas confondre le cortège présidentiel et le cortège du président. 

Cela étant, l'histoire de la cuisine n'est pas une science culinaire puisqu'elle n'est pas culinaire  : c'est d'abord de l'histoire, et son sujet peut-être la cuisine. De même, la gastronomie moléculaire est une science de la nature et non pas une science culinaire, puisqu'elle n'est pas de la cuisine elle-même, mais plutôt de la physico-chimie. 

On comprend toutefois un mécanisme à savoir que toute initiative nouvelle doit avoir un nom, et qu'il peut être difficile de ne pas reprendre le nom juste puisqu'il est déjà pris. On invente alors un nom un peu différent, chatoyant mais qui, de ce fait devient fautif du point de vue lexical ou grammatical. 

Cela ne serait pas grave si on n'augmentait pas la confusion, au lieu de l'éviter. Or j'ai toujours l'envie que mes amis plus jeunes et moi-même apprenions à mieux parler pour mieux penser. 

Inversement, je suis toujours émerveillé de mieux utiliser l'outil qu'est la langue. Par exemple, je me souviens avec bonheur du jour ancien où j'ai compris que le mot rutilant ne veut pas dire brillant, doré mais au contraire rouge... comme ce minéral qui est le rutile.
De même, j'ai dit récemment combien j'étais heureux d'avoir compris que je m'étais trompé à propos du mot enseignement qui en réalité a l'étymologie de désigner. 

Bref, je suis heureux de mieux parler parce que parlons mieux j'espère penser mieux

mardi 11 avril 2023

J'ai (re)lu la Logique, de Condillac ?

 Pourquoi lit-on un livre ? 

Je propose la comparaison suivante : de même l'on accroche aux murs de son appartement des tableaux, qui sont une façon de se parler à soi-même, de s'entretenir d'idées exprimées par les toiles, de même on lit des livres afin de se meubler l'esprit, afin d'y loger des idées. 

Cela n'est donc pas anodin, et il faut peut-être dire plus qu'on ne le fait aujourd'hui que le choix de ses lectures est essentiel, non seulement en termes de temps passé, mais aussi en termes d'embellissement de l'esprit : il est vrai que la lecture d'une bande dessinée minable (on voit donc que je fais la distinction entre les différentes bandes dessinées, lesquelles ne sont pas toutes de la même qualité : répétons que, pour la plupart des tâches, tout est une question d'exécution, donc d'individu) empiète sur la lecture de Condillac, par exemple. 

Et il est vrai aussi que l'intérêt d'un livre se mesure aussi au nombre d'idées qu'il fait surgir. 

 

Cela étant posé, pourquoi lire Condillac ? 

 

Bien sûr, il s'agit d'un « grand auteur », il s'agit d'un de ces noms qui restent dans l'histoire... mais cela est bien insuffisant, car cela s'apparente à un argument d'autorité, ce genre de choses contre lesquelles je propose de résister. 

Alors, pourquoi lire Condillac ? Dans mon cas, je lis Condillac, parce que Lavoisier le citait. A plusieurs reprises, Lavoisier évoque Condillac afin de discuter la relation entre une langue analytique, une langue bien faite, et la pensée, et la chimie. L'idée essentielle de Lavoisier, qu'il attribue à Condillac, c'est que les phénomènes que la science quantitative explore sont manipulés, appréhendés, par des pensées, et que ces pensées correspondent à des mouvements. 

Longtemps, j'ai proposé de prendre cette idée à la lettre, concluant qu'il fallait une langue précise pour faire de la bonne science. Toutefois, Einstein et Poincaré, notamment, discutant l'origine des idées qu'ils avaient eues, ont tous deux dit qu'ils avaient des idées sans les mots, et que c'était donc un de leurs efforts que d'aller chercher des mots pour exprimer des idées qui étaient en eux. On ne peut évidemment balayer d'un revers de la main de telles déclarations ! 

 

La conclusion de cette affaire, c'est qu'il faut aller y voir de plus près... et, donc, lire Condillac. 

 

Aujourd'hui, je ne dirais plus les choses comme je les disais, mais je continue à soutenir, évidemment, que la langue que nous utilisons doit être d'une très grande précision. 

Dans la méthode scientifique, le calcul se déroule, mais, finalement, il y aura quand même son expression en langage naturel, l'affichage au monde, et à soi-même, des mécanismes des phénomènes que l'on aura explorés. 

Là, on retrouve Michael Faraday, qui introduisit des mots pour désigner des concepts nouveaux, par exemple « lignes de champ magnétique ». Ces mots s'ajoutent à ceux qui ont été introduits pour désigner des objets nouveaux : électrode, anode, cathode, ion... Des exemples récents ? Je vous invite à lire cet article merveilleux de Jean-Marie Lehn, paru en 2005, sur les dynamères. Le mot « dynamère » désigne des objets qui étaient dans les esprits, mais qui n'  « existaient » pas véritablement tant qu'ils n'avaient pas été nommés, et c'est un des mérites de cet article (un parmi bien d'autres) d'avoir introduit un mot que nous utilisons maintenant pour désigner des objets, pour échanger à leur propos, facilement 

 

La question des mots en science est passionnante, parce qu'il y a toujours l'hésitation entre l'introduction de mots creux de mots « pleins ». 

Un mot creux est un mot inutile, redondant, un mot qui n'aide pas la pensée. Un mot plein, c'est un mot qui conduit à bien identifier des objets, à les faire apparaître comme nouveaux du simple fait qu'ils ont été nommés. Des polymères dynamiques, ce n'est pas nouveau, au fond, mais des « dynamères », c'est-à-dire la même chose, cela devient une catégorie d'objets très clairement perçus, et sur laquelle nous pouvons travailler. 

Condillac ? Il fut important au siècle des Lumières par son analyse de la pensée, du langage, et c'était un philosophe qui séduisit bien des scientifiques. Sa Logique ? Elle est certes intéressante, mais son intérêt principal n'est-il pas en ce que nous ferons, après sa lecture ?

lundi 25 avril 2022

Et si l'usage de l'anglais en France était souvent révélateur d'une faiblesse d'esprit ?



Et si l'usage de l'anglais en France était souvent un symptôme,  révélateur d'une faiblesse d'esprit ?

Là je passe devant bistrot qui vend des "bowls",  et je vois une photo où il y a simplement un bol qui contient une salade.

Pourquoi utiliser le mot anglais bowl, plutôt que le mot français bol ?

Ces commerçants veulent-ils nous faire croire à une préparation si différente, si extraordinaire, qu'il faille pour la désigner un mot qui n'existerait pas en français ?

En réalité, ces commerçants tablent sur du snobisme de leur clientèle, et il est vrai que  le bistrot  incriminé se trouve dans un quartier parisien où il y a beaucoup de snobisme.

Mais pourquoi ce snobisme ? On pressent les locuteurs qui veulent montrer qu'ils sont  ouverts sur le monde, qu'ils ont voyagé, qu'ils parlent couramment l'anglais (merveilleux !), et ainsi de suite...

Mais je ne peux m'empêcher de trouver minable ceux qui se laissent ainsi aller. Prétentieux, certainement, mais aussi bien petits esprits... car savent-ils vraiment le sens des mots anglais qu'ils utilisent ? "A beau mentir qui vient de loin".

A propos des mots que nous utilisons, il y a une vigilance particulière à avoir, qui me fait souvenir de cet épisode terrible pour moi, il y a de cela de nombreuses années, alors que je travaillais à la revue Pour la science : un auteur avait utilisé un très joli mot, un peu archaïsant (je ne me souviens plus duquel), et j'avais été heureux de le laisser passer dans son texte... mais, à la relecture, je me suis aperçu que ce mot ne signifiait pas du tout ce que l'auteur voulait dire.

Un peu comme  pour les mots "glauque", "rutilant", "de conserve", etc.

Je vous laisse aller dans le dictionnaire (un bon dictionnaire : le Trésor de la langue française informatisée) pour voir le sens de ces derniers mots. Mais on ne me fera pas gober que même si la majorité des locuteurs dit "rutilant" pour  brillant, je dois utiliser éviter cette acception fautive  :  rutilant ne signifie pas brillant mais rouge. Oui,  rouge comme du rutile, qui est un cristal bien particulier, d'oxyde de titane.

Oui, pour penser bien, je dois avoir les bons mots, et ce n'est pas un usage débridé de l'anglais qui nous y aidera !

jeudi 6 septembre 2018

Pourquoi être précis ??????

Un  collègue me demande notamment pourquoi j'accorde tant d'importance aux mots.

Oui, pourquoi est-ce que je maintiens (avec beaucoup d'intellectuels du passé) que les mots doivent être justes, dans leur  dénotation comme dans leur connotation d'ailleurs ?
 Un exemple : il est vrai que je fais une différence essentielle entre les mots "enseignant", "tuteur", "professeur", "maître"...
 Ce n'est qu'un exemple, mais j'explique, pour commencer, sur cet exemple : en l'occurrence, je récuse le mot "enseignant" pour la double raison que c'est un participe présent jargonnant et qu'il est bien impossible d'enseigner (on peut seulement apprendre, quand on est étudiant) ;  le tuteur, lui, est quelqu'un qui exerce une activité de tutorat, de guide, avec des objectifs bien différents de celui qui voudrait "enseigner" ;  le maître à une activité que je n'ai pas encore analysée et que je ne peux pas donc décrire... mais comment oublier ce "Ni dieu ni maître" ;  et le professeur doit étymologiquement "parler devant", et j'ai analysé qu'il s'agissait de transmettre beaucoup d'envie de connaître et d'apprendre, beaucoup d'enthousiasme, pour que les études se fasse le plus activement possible.

Dans le même ordre d'idée, je distingue le pédagogique,  l'éducatif, l'instructif, le didactique, par exemple. Le pédagogique, par définition, s'adresse à des enfants  ;  l'éducatif et l'instructif n'ont pas la même signification puisque l'un se rapporte à l'éducation, en gros à l'apprentissage des règles de bienséance,  et l'autre à l'instruction, c'est-à-dire aux matières qui relèvent du collège,  de l'école,  du lycée ou de l'université. Mais on trouvera dans un autre billet les analyses plus approfondie de cette question, précisément avec des considérations étymologiques et historiques. Enfin le didactique s'applique à ce qui m'intéresse en réalité,  c'est-à-dire les études.


Mais je reviens maintenant à ma discussion initiale, en observant que je cherche à employer effectivement les mots  avec une signification bien particulière qui ne dépend pas de moi mais d'un fonds commun de la langue donné par le dictionnaire. Je veux des acceptions justes, fondées, répertoriées, partagées...

Et je m'interroge quand même sur la remarque de mon collègue, car si l'on se met idiosyncratiquement à nommer "chat" un animal à quatre pattes et à poils qui fait wouah, wouah, alors on risque d'être mal compris de ses semblables, non ? Or mon collègue se demandait aussi pourquoi je ne faisais pas référence à d'autres collègues ayant étudié la didactique :   ma réponse tiens dans cette observation que beaucoup d'entre eux ont leur propre  terminologie, leurs propres acceptions idiosyncratiques, fondées sur des "systèmes" que je n'apprécie pas toujours ; ils ont leurs propres définitions... mais  je refuse absolument d'être ballotté par des intellectuels parfois un peu faibles, qui  voudraient faire passer des terminologies qui fonderaient leur "compétence".
Et puis, je n'oublie pas  le grand Lavoisier, qui observa avec Condillac que la langue est un outil analytique, et que les mots vont de pair avec la pensée. C'est une hypothèse que j'ai partiellement réfutée, mais qui reste juste en première approximation : il nous faut les bons mots pour bien penser.

Tout cela fait un billet, mais il y a en réalité une réponse beaucoup plus rapide : je ne me résous pas à utiliser d'autres mots que les mots justes... parce que si je me mets à dire n'importe quoi, alors je dis... n'importe quoi ! 
Pour être juste et précis, ou, au moins pour avoir l'espoir de l'être un peu, je dois trouver les bons mots. Ce qui me fait immédiatement penser à cette citation du poète : "L'écrivain est quelqu'un qui ne trouve pas ses mots, alors il cherche, et il trouve mieux". Oui, ce n'est pas en pissant des phrases, sans contrôle,  sans réflexion suffisante, que l'on aura une chance de penser un peu bien. De même que dans un calcul, la moindre lettre compte (on fait des catastrophes si on confond avec  x avec un y), je ne vois pas pourquoi, quand on parle, une précision au moins égale ne serait pas de mise.

Bref, utilisons de bons mots !







PS. Un ami alsacien me signale  :
"Concernant la langue, on oublie que bien des Alsaciens qui ont suivi une scolarité allemande durant la deuxième guerre dans des établissements comme le lycée ou l'université, ont par la suite pour leurs discours notamment (un exemple d'un parent très proche) toujours pensé en premier en allemand puis rédigé en français.
Sans passer par une première rédaction en allemand, leur réflexion sur le contenu et les formulations se faisaient en allemand dans leur tête, et enfin la rédaction en français."

samedi 21 juillet 2018

Peut-on penser bien quand on fait des fautes d'orthographe ?


Il y a des questions vraiment terribles, politiquement dangereuses, et, je ne sais pourquoi je verse de ce côté bien trop souvent. L'orthographe ? Il y a eu des guerres pour moins que cela. Evidemment, c'est le lieu d'affrontement entre ceux qui la maîtrisent, et les autres. Avec des arguments variés qu'il serait trop long de répéter.
Non, ma question est seulement de savoir si l'on arrive à bien penser même quand on fait des fautes d'orthographe en grand nombre. Et je vois deux réponses.

Tout d'abord, j'observe des étudiants à l'orthographe défaillante qui me disent être dyslexiques... mais que je vois seulement négligents, hâtifs : si l'on pose les mots sans y penser, comment avoir le temps de se préoccuper de leur orthographe ? La fameuse dyslexie est surtout une paresse et une négligence, comme pour tous ceux qui me disent "je ne suis pas bon en...".

Et puis je vois une seconde réponse, qui est donnée par l'usage des langues étrangères : nous pensons facilement au voisin quand nous disons neighbour, ou nous n'avons pas de difficulté à bien penser au poids quand nous disons weight, en anglais... mais ces mots s'écrivent-ils bien ainsi que nous les orthographions ? Cela nous chagrinerait de les orthographier de façon erronée, mais notre capacité intellectuelle n'en serait pas amoindrie pour autant. Un débutant en anglais a le droit d'avoir des hésitations, et il ne pensera pas mal pour autant... de sorte que cela semble vrai pour notre langue maternelle. Bien sûr, on pense plus finement si l'on sait que "rutilant" signifie "rouge" (du minerai nommé rutile) ou que "glauque" signifie "vert", mais notre pensée (scientifique) ne serait guère changée si l'on écrivait "binsène" au lieu de "benzène" : tout au plus serait-on gêné à  la lecture des autres.

En revanche, il est certain qu'une orthographe déficiente fait mauvais effet sur ceux dont l'orthographe est mieux assurée, et il est certain, aussi, que ces derniers sont "heurtés" quand ils sont confrontés à des fautes d'orthographe. Ainsi, la lecture attentive d'un texte fautif du  point de vue de l'orthographe est considérablement ralentie, parce que nous avons le sentiment d'un désordre qu'il faut corriger.

J'en suis là de mes réflexions. Qui m'en dira plus sur ces relations de la pensée et de l'orthographe ?

vendredi 6 avril 2018

Au premier ordre, Condillac

Enfin, je comprends que mes hésitations personnelles à propos de la "querelle de Lavoisier contre Poincaré" ne concerne qu'une partie réduite de mes amis ! Je me suis trompé de combat, et il faut promouvoir absolument l'usage d'une langue juste, et ne cesser de proposer ces trois liens :

http://atilf.atilf.fr/
http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser
http://www.projet-voltaire.fr/blog/


Mais je me vois bien incompréhensible, et j'explique, maintenant.
Naguère, émerveillé par les avancées intellectuelles d'Antoine Laurent de Lavoisier, j'avais partagé avec mes amis mon admiration pour ses idées exprimées dans un texte sur les oxydes, où il introduit le formalisme actuel de la chimie : c'est bien à lui que l'on doit les équations chimiques telles que "NaOH + HCl →NaCl + H2O".
Partant de ce texte, j'avais découvert le Traité élémentaire de chimie, que Lavoisier publié pour proposer un cadre cohérent à la chimie moderne qu'il avait fondée, en bannissant l'idée abracadabrante de "phlogistique" (en gros, une matière de masse négative) et en réformant la terminologie chimique, reléguant dans les oubliettes de l'histoire  des terminologies alchimiques qui manquaient de ce systématisme rationnel qui est la marque des sciences : fini les "sublimés corrosifs" ambigus, les "cristaux de Saturne", les "mercure précipité" ou "mercure sublimé", les écumes de Diane, les cornes de cerf... aussi variables qu'incertains.
Mais, surtout, Lavoisier était inspiré par l'abbé de Condillac, qui revendiquait une langue juste pour une pensée juste. Et c'est ainsi que, dans l'introduction de ce traité, il écrit :

"C’est en m’occupant de ce travail, que j’ai mieux senti que je ne l’avois, encore fait jusqu’alors, l’évidence des principes qui ont été posés par l’Abbé de Condillac dans sa logique, & dans quelques autres de ses ouvrages. Il y établit que nous ne pensons qu’avec le secours des mots ; que les langues sont de véritables méthodes analytiques ; que l’algèbre la plus simple, la plus exacte & la mieux adaptée à son objet de toutes les manières de s’énoncer, est à-la-fois une langue & une méthode [iij] analytique ; enfin que l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite.  [...]  L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage". 

Oui, il faut de bons mots pour de bonnes pensées, car les mots sont comme les outils de l'ébéniste : on ne fera pas du bon travail si l'on confond le marteau et le ciseau à bois ! D'ailleurs, c'est surtout sur le langage technique que l'on voit l'importance de la juste terminologie : si le marin confond la drisse avec l'écoute, le bateau chavire !
Et, évidemment, c'est avec cette idée que je ne cesse de consulter les dictionnaires, et notamment les bons dictionnaires sont j'ai donné les liens
Avec http://atilf.atilf.fr/, on comprend ce que signifient les mots ; la partie inférieure des entrée donne l'étymologie et l'histoire des termes, ce qui explique notamment pourquoi il n'y pas d'exacts synonymes en français.
Mais pour en savoir plus de ce point de vue, il faut consulter : http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser
Et comme nous devons nous présenter à nos amis sous nos plus beaux atours, il n'est pas inutile de consulter celui-ci, également  : http://www.projet-voltaire.fr/blog/

J'étais donc dans un sentiment très condilliacien, pendant longtemps, jusqu'à ce que tombe sur ce texte de Poincaré sur l'invention mathématique. Poincaré ? Henri, bien sûr ; le mathématicien. Par Raymond, le président du Conseil. Henri Poincaré fut un mathématicien extraordinaire, et il s'intéressa à l'épistomologie, et, aussi, à la production des connaissances mathématiques. Dans un de ses textes, il écrit que la difficulté, pour lui, n'était pas d'avoir des idées mathématiques nouvelles, mais de mettre des mots dessus pour pouvoir les partager avec sa communauté.
Oui, à l'opposé d'un Lavoisier, pour qui les idées scientifiques peuvent naître quasi mécaniquement, du maniement des mots, Poincaré voit dans le langage -qu'il veut d'ailleurs tout aussi précis- une fonction plus utilitaire.

Un jour, descendant faire mon cours de gastronomie moléculaire, je compris que Lavoisier était dans l'erreur... pour la production scientifique. Le maniement automatique des mots est "mortifère", et il faut de l'induction pour faire de la science neuve. Il faut "faire des sciences en artiste", aurait dit Poincaré (pour les mathématiques). Oui, il y a cette étape inductive, et non déductive, essentielle en production scientifique.
J'avais donc relégué Lavoisier dans un coin... Mais je me reprends : la fréquentation quotidienne de mes jeunes amis montre que la question essentielle n'est pas d'abord la production scientifique, mais son apprentissage. Et, pour apprendre, il faut les bons mots. Les idées de Poincaré viendront bien plus tard, et elles n'ont pas de place pour commencer.
Oui, les idées condillaciennes sont au premier ordre, et les variations de Poincaré n'arrivent qu'ensuite.


Il faut le dire avec force : 

ayons de bons mots pour bien penser  ! 









samedi 22 août 2015

Comment le soliloque conduit à de nouvelles idées

Le soliloque ? C'est, pour le dictionnaire, le fait de parler à voix haute, quand on est un enfant qui fait une tâche difficile. J'interprête que l'enfant focalise l'ensemble de sa pensée sur la difficulté, et je déduis que les mots sont importants pour la pensée, ce que n'aurait pas ni l'abbé de Condillac.
Mais la "méthode du soliloque" est aussi une de mes trouvailles (je ne prétends pas que d'autres n'aient pas quelque chose d'analogue, mais je n'en ai pas connaissance), qui permet  à la fois de penser, d'écrire, de parler.

De quoi s'agit-il ? Je me suis inspiré de Denis Diderot (qui n'a jamais produit, à ma connaissance toujours, de méthode analogue à celle que je discute ici), qui, dit-on, était inmanquable : quand on entrait dans un café où Diderot se trouvait, on le repérait immédiatement, parce qu'il gesticulait, haranguait son entourage avec feu... Dans l'Encyclopédie, il est nécessairement plus calme, mais le feu est alors intellectuel. Et, surtout, sa correspondance nous le montre vif argent. Comment a-t-il pu écrire autant ? Sur tant de sujet ? Certes, il s'est mis en condition de le faire, mais j'imagine aussi qu'il devait avoir une méthode intime, et, puisque je ne connais pas cette méthode, je l'ai inventée... et c'est cela que j'ai nommé la méthode du soliloque.

De quoi s'agit-il ? Il s'agit de reconnaître que notre esprit est encombré de mille idées variées, et que, pour penser, il nous faut nous focaliser sur une idée seulement. Ce qui me fait penser que, quand les enseignants disent à des élèves ou étudiants "concentrez-vous", l'injonction est bien étrange, car comment faire pour  se concentrer ? La méthode du soliloque est une réponse.
J'y reviens, donc : notre esprit est plein d'idées disparates qui sont en concurrence (les impôts, le plombier, un rendez vous à organiser, penser à ses clefs...) et cela nous gêne pour penser. Si nous parlons (à voix haute, dans un dictaphone) ou si nous écrivons, alors un seul mot sort à la fois, et si nous avons ce mot sous les yeux (parce que nous écrivons ou parce qu'un logiciel de reconnaissance vocale nous le transcrit), alors nous pouvons fixer plus  facilement notre attention.

Voilà pour la première moitié de la méthode. La seconde moitié, c'est de considérer chaque mot qui est déjà émis, et de l'analyser, de tous les points de vue qui sont en notre possession... et c'est là où la "culture" est essentielle. Analysant, d'autres mots sont émis, qui seront analysés à leur tour, et se constituera ainsi un discours que nous pourrons ultérieurement ordonner.

Bien sûr, cette méthode foisonnante fait risque le bourgeonnement baroque excessif, mais à nous, ensuite, d'ordonner, de construire a posteriori.
Je passe sur des tas de détails de la méthode, car je n'en fais pas ici un cours, mais je m'arrête sur une observation : n'est-il pas merveilleux que, ainsi, la pensée sécrète la pensée ?
Pour celles et ceux qui sont intéressés par cette question, il y aura à considérer les discussions sur le langage... et c'est ainsi que, parti de Condillac, on y revient !