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samedi 1 avril 2023

Pas d'adjectifs, pas d'adverbes

La mauvaise littérature fait un usage déraisonnable des adjectifs et des adverbes, tombant facilement dans le cliché ou la périssologie (la forme fautive du pléonasme) : « le blanc manteau immaculé de la neige », « un terrible drame »… 

L'épithétisme non voulu est redoutable, et les auteurs naïfs ne doivent pas s'étonner que leurs manuscrits soient si facilement refusés : une lecture d'un paragraphe suffit souvent à se faire une idée de la médiocrité des textes médiocres.

 Evidemment, en écrivant ce qui précède, je me surveille : n'ai-je pas écrit « mauvaise », « déraisonnable », « facilement », « redoutable », « naïfs », etc. ?
Oui, je m'en suis amusé, et l'on me connaît assez pour bien comprendre que cet amusement est pure joie de vivre, et non ironie caustique. Il s'agit d'aider mes amis à vivre mieux, et, en l'occurrence, à mieux maîtriser l'usage de la langue. 

Pourquoi cet accès soudain ? Parce que je viens de commencer la lecture critique d'un manuscrit scientifique soumis à une revue de chimie, et que je ne cesse d'écrire dans le rapport : « précis », combien ? « grande sensibilité analytique », combien ? « bien connu », de qui ? « forte proportion », combien ? 

La méthode des sciences de la nature faisant usage de la caractérisation quantitative des phénomènes, puis imposant que les mécanismes proposés pour les phénomènes soient « encadrés » par les lois quantitatives, on comprend que les adjectifs et les adverbes soient des mots difficiles à manier. 

Petit ? Jolitorax venu voir Astérix et Obélix disait que son canot était plus grand que le casque de son neveu mais plus petit que le jardin de son oncle. Et si l'on riait d'une telle déclaration, vu la différence important de taille des trois objets, il y avait le germe d'une saine pratique de la description scientifique. 

Oui, une gouttelette d'huile dans une sauce mayonnaise, avec un diamètre compris entre 0,001 et 0,1 millimètre est « petite » (sous-entendu, par rapport à nous), mais elle est énorme par rapport aux lipoprotéines qui sont dispersées dans le plasma d'un jaune d'oeuf, et, a fortiori, dans la sauce mayonnaise. 

 

Il faut répéter que la description scientifique n'est pas de la littérature, de la poésie ; l'information doit être aussi précise que possible, mais aussi succincte… et c'est la raison pour laquelle notre Groupe de gastronomie moléculaire s'est fait une règle de ne pas utiliser adjectifs et adverbes. 

 

Bien sûr, parfois, ils s'imposent, surtout quand la question est la communication, mais chaque fois que nous rédigeons un rapport, un article…, nous faisons, en fin de travail de rédaction, un balayage pour éliminer ces mots épineux. Et si cette règle que j'ai introduite il y a quelques décennies à mon usage était imposée à tous ? 

Et si elle figurait dans les « conseils aux auteurs » ? Merci de m'aider à penser que ma proposition est insensée.

mardi 13 octobre 2020

Peut-on écrire avec enthousiasme sans se laisser aller à de la poésie fautive du point d vue lexical ?

 
J'entends et je lis des mots dont l'acception est... "originale" (oui, je veux bien dire très idiosyncratique).  Arôme, flaveur, saveur, goût ? Alors que je critique l'étrange usage qui est fait de ces mots, on me rétorque que c'est bien difficile d'écrire de façon que l'enthousiasme transpire.

Écrire avec enthousiasme ? Un correspondant me dit que, parfois, l'enthousiasme et la littérature le conduisent à des confusions entre ces termes. Ces confusions sont-elles vraiment indispensables, inévitables, lui demandé-je ? Je suis certain que non et, au contraire, je crois qu'il n'y a aucune raison de ne pas avoir, pour ces termes la même précision que pour les autres mots, car au fond, si la pensée, ce sont les mots, ce ne sont pas avec des mots imprécis, approximatifs, gaucis, biaisés, tordus que l'on fera la moindre des littératures (aucun des adjectifs précédents n'est utilisé dans une acception approximative).

Viens maintenant la question de l'enthousiasme et là,  je reviens de loin, car je suis le premier à être - jadis - tombé dans l'épithétisme :  l'accumulation d'adjectif, d'adverbes, de superlatifs... au lieu d'avoir la force par le verbe juste, le mot juste, et surtout l'idée juste !

Oui, l'idée juste : car c'est cela la force de discours ! Il nous faut des idées étonnantes, surprenantes, remarquables, intelligentes en un mot... et précises. Ce qui fait style, c'est bien de proposer des idées qui ont une originalité si grande qu'elles s'imposeront à tous, sans ces effets de manche un peu vulgaires que sont les accumulations d'adjectifs, d'adverbes, sans les imprécisions, les gauchissements.

L'enthousiasme ? C'est comme dans tous les arts, un souci du détail, une précision incommensurable qui s'apparente à être capable de peindre des mouches sur un tableau de façon si réaliste que l'on s'y trompe.

Bien sûr, il y eut des grands auteurs de l'accumulation, et l'on pense immédiatement à François Rabelais, surtout si l'on est gourmand. Oui, mais son accumulation est en termes d'objets, car quand il évoque les boudins, les jambons, les saucisses, les andouilles, etc., c'est une image qu'il nous donne, une image extraordinairement précise.

Bref, je crois que la maîtrise littéraire résulte de la précision, d'une précision parfaite, d'une maîtrise parfaite des mots, de leur sens, de leurs connotations, de leurs sonorités...
Et c'est ainsi que nous lisons de beaux textes, qui s'apparentent à des dessins où l'encre n'a pas coulé, à des peintures où rien n'est laissé au hasard, à des musiques où tout est réglé pour faire passer un exact sentiment.

mercredi 8 novembre 2017

Le respect ? L'autorité ?

Surtout ne pas faire de mauvais devoir de philosophie ! Mais je viens de trouver sous la plume de Kazuo Ishiguro (Un artiste du monde flottant) :

"S'il est juste de toujours respecter les maîtres, il importe aussi de toujours remettre leur autorité en question". 

Je ne sais pas si je veux discuter l'idée, qui n'est donc pas celle de l'auteur, mais de l'un de ses personnages (ne jamais confondre l'auteur et le narrateur dans une oeuvre de fiction), mais le mot "respect" m'arrête. De quoi s'agit-il ? Je me propose non pas de répondre, mais d'explorer le sens des mots.

Utilisant le seul dictionnaire auquel je veux accorder du crédit (le TLFi), même s'il est temps de le perfectionner, je trouve :

Action de prendre en considération quelque chose. 
Prendre en considération ? Cela impose de savoir ce qu'est la "considération". On trouve : "Action d'examiner avec attention quelque chose ou quelqu'un. On aurait donc un "maître" (notion à examiner... avec attention), et il s'agirait de l'examiner avec attention. L'examiner ? Le respect consisterait à analyser la personne du maître, c'est-à-dire son comportement et sa production ? Ce serait donc faire un travail critique, bien éloigné de l'attachement qui se trouve inclus dans le respect.

Estime, égards que l'on témoigne à quelqu'un après avoir pu apprécier sa valeur.
Cette fois, nous arrivons à "estime", qui va avec l'attachement dont il était question. Estime ? "Jugement par lequel on détermine, on marque la valeur que l'on attribue ou doit attribuer à telle personne ou à telle chose abstraite." Là, il y aurait non pas une façon de se comporter par rapport à ces fameux maîtres, mais une idée que l'on aurait d'eux. Et puis, la "valeur"... doit être évaluée. Le Maître est-il bon ? Mauvais ? On conviendra qu'il y aurait quelque incohérence à accorder de l'estime à un mauvais Maître. Pour un bon ? Vaut-il mieux de l'estime ou de la reconnaissance ?
Pour "estime", d'ailleurs, on trouve aussi "Opinion avantageuse mais limitée que l'on témoigne à quelqu'un ou à quelque chose en raison de ses qualités moyennes, normalement attendues, et généralement appréciées." Là, il y a lieu de manquer de... respect au dictionnaire : qui a produit cette définition ? Et en vertu de quoi ? Qui s'invite ainsi à nous faire penser que l'estime est ce qui est dit ici?

Revenons au "respect" :
Sentiment de vénération, attitude de révérence envers le sacré.
Vénération  ?  On trouve "Sentiment, culte religieux rempli de respect et d'adoration" ou "Attachement profond et admiratif". Avec le premier, on tourne en rond pour le "respect", mais il y a l'adoration : "Culte rendu à  une divinité, à des objets sacrés en relation avec la divinité". D'où "culte" : Hommage religieux rendu  à quelque divinité". D'où "hommage" : Promesse de fidélité et de dévouement absolu d'un vassal envers son seigneur. Le respect irait avec un dévouement. Mais on conviendra que seul un bon maître mérite cela. D'où la question : comment savoir si notre "Maître" est bon ?

Mais nous avions la "révérence", en travers de la gorge :  "Respect profond mêlé de crainte, grande considération". Le respect, ce serait le respect. Avec la crainte. La crainte ? Pourquoi aurions-nous peur d'un Maître ? Considération : nous en avons parlé.

D'ailleurs, cette révérence doit nous faire penser à la "déférence", qui n'est pas apparue dans notre promenade linguistique : "Considération respectueuse à l'égard d'une personne, et qui porte à se conformer à ses désirs et à sa volonté." Quoi : il faudrait se conformer aux désirs et à la volonté des Maîtres. Et pourquoi ? On n'oublie pas le "Sapere aude" (aie le courage de penser par toi même) de Denis Diderot, et le "Ni dieu ni maître" des anarchistes.

Dieu ? Nous avons rencontré le "sacré", dont il faut se demander ce que c'est :  "Qui appartient à un domaine séparé, inviolable, privilégié par son contact avec la divinité et inspirant crainte et respect." J'ai bien du mal !
"Relatif au culte, à la liturgie."
Mais culte ?   "Attitude de réserve, de piété envers une chose considérée pour sa valeur morale."
D'où "piété" : "Attachement fervent à Dieu; respect des croyances et des devoirs de la religion." On arrive au respect. On tourne en rond : il faut être respectueux parce qu'il faut être respectueux.

Tient, je n'oublie pas un des sens du respect :  "Fait de prendre en considération la dignité de la personne humaine". Mais... dignité ? 
"Sentiment de la valeur intrinsèque d'une personne ou d'une chose, et qui commande le respect d'autrui." Il faut être respectueux, donc considérer la dignité, mais cette dernière commande le respect. Encore une circularité. A moins que l'on considère la dignité comme "Prérogative (charge, fonction ou titre) acquise par une personne (un groupe de personnes), entraînant le respect et lui conférant un rang éminent dans la société." Décidément non, encore la circularité

Fait de considérer une chose comme juste ou bonne et ne pas y porter atteinte, ne pas l'enfreindre; fait d'y être fidèle.
Ne pas porter atteinte. Pourquoi  porterions-nous atteinte aux Maîtres ? Et, j'y reviens, pourquoi ne porterions-nous pas atteinte aux mauvais "Maîtres".
Quant à "fidèle" : "Qui a le souci de la foi donnée, qui est respectueux de sa parole, de ses engagements." Mais qui a jamais dit que nous avons donné notre parole à notre Maître ? Et si nous nous sommes trompés, n'avons-nous pas lieu de changer ?
Et je trouve encore "Crainte du jugement des hommes, attitude qui conduit à adopter des comportements conformistes dans la crainte de choquer, de déplaire, du qu'en-dira-t-on." Là, que l'on me pardonne de ne pas m'apesantir sur ces histoires de conformisme qui m'ennuyent.

Bref, je reviens à la question du respect que l'on doit ou non aux Maîtres. Elle présuppose la notion de Maître, qui aurait dû venir avant celle du respect. Nous faut-il des Maîtres ? Des "personnes qui ont un pouvoir de domination" ?
Je ne vais quand même pas poursuivre plus longtemps, car je me suis déjà beaucoup expliqué. Disons que je suis heureux d'attribuer honnêtement la paternité d'une belle idée à celui qui me l'a donnée.... avec cette réticence constante que je veux être bien sûr que celui qui l'a transmise est celui qui en est à l'origine.
Par exemple, ce matin, dans une master class, le musicien Benjamin Zander discutait le jeu d'un contrebassiste, et il lui demandait "Quel sera le niveau supérieur suivant ?". Il observait que tout ce qui est humain est imparfait (ce que j'ai publié mille fois), et s'interrogeait sur les possibilités d'amélioration. Oui, quel sera le niveau supérieur ?

dimanche 1 octobre 2017

Boris Vian

Le livre de Thieri Foulc et Paul Gayot sur Boris Vian et la 'Pataphysique (le livre de poche) me fait souvenir que, jeune adolescent, j'avais adoré les textes de Boris Vian : L'écume des jours, l'Automne  à Pékin, mais aussi ces "Vernon Sullivan" qui était écrit sous un nom d'emprunt, et jusqu'aux textes présentés dans Les vies parallèles de Boris Vian.
Puis j'ai grandi et je suis devenu snob. L'humour un peu potache de Boris Vian m'a fait penser que c'était de la "petite littérature", qui ne valait pas Flaubert, et encore moins Rabelais.

Aujourd'hui, alors que je relis Vian, je le vois rapide, certes, mais frais, vif, rapide, inventif, intelligent...
Tiens, dans ses Chroniques de Jazz, je trouve, par exemple :
Au fond, les hypocrites finissent toujours par emmerder les autres.
Ou bien :
Et ça n'empêche sûrement pas les assassins  de dormir. Dans tous les pays du monde, les assassins ont le sommeil lourd. 
Et encore :
Je suis simplement prétentiophobe. 

Voilà, pas de quoi avoir le prix Nobel de littérature, mais du texte rapide et rafraîchissant de vivacité. Je relis Boris Vian avec plaisir.

dimanche 15 novembre 2015

Demain, qui seront les classiques ?

Tout a commencé avec  une correspondance : un étudiant très intéressé par les matières intellectuelles en général me signalait l'engouement d'un de ses amis pour Coluche,  et il me demandait ce que j'en pensais. Cet étudiant n'est pas français et l'on se souvient qu' "à beau mentir qui vient de loin" : pour lui,  Coluche en est un personnage exotique, dont on peut vanter facilement les mérites. Je ne dis pas ici que Coluche n'était rien, mais je devais à mon jeune ami de me demander si nous avons raison d'y passer du temps.
Car c'est bien là une question de temps, de choix, d'éthique même.  Puisque nous avons à choisir le temps que nous consacrons aux aspérités du monde, puisque nous avons à choisir comment nous "meublons" notre esprit, puisque nous devons choisir ce que nous aimons, s'impose de savoir si Coluche vaut Molière, et si nous devons écouter des sketchs de Coluche, ou relire des pièces de Molière. Et cette question peut être retournée : nous pouvons nous demander pourquoi Molière est resté, alors qu'il y a eu tant d'amuseurs, siècle après siècle.
Alors que je proposais à mon correspondant des noms comme celui d'Aristote (ou de Molière), il me répondait très justement que ma réponse était facile, puisque j'érigeais en personnalités… des personnalités. Et il continuait de m'interroger, mais cette fois à propos de Serge Gainsbourg. Là encore, je n'ai rien contre Gainsbourg, et je ne vais pas refaire le même type de réponse, à savoir comparer Gainsbourg à Mozart ou à Bach. Je préfère  donc poser  la question : lesquels de nos contemporains encensés par le peuple, la presse, le politique, seront-ils demain considérés comme des classiques, et pourquoi ?

En littérature, que je comprends sans doute mieux que la musique ou le comique, on est régulièrement exposé à l'annonce d'un prix : le prix Goncourt, le prix Fémina, etc. Difficile de penser que toutes les œuvres primées valent grand-chose, et, quand on lit bien ces œuvres, on voit qu'Alain Robbe-Grillet (merveilleux Pour un nouveau roman !) avait bien raison d'analyser que, trop souvent, on en est resté à Honoré de Balzac, sans grand changement ; les romans en question ne sont que  de mineures  variations sur le thème du grand Balzac, qui, lui, a effectivement été à l'origine d'une forme. Oui, il y a des écrivains qui ont de l'imagination, d'autres qui racontent bien leur propre histoire en l’embellissant un peu pour ne pas tomber dans le pire de la littérature, à savoir l'étalage naïf de l'intime, mais du point de vue littéraire, cela n'est rien, et si Rabelais était Rabelais, par exemple, s'il est resté, c'est que la forme littéraire qu'il introduisit est extraordinairement puissante, et réductible à aucune autre !
Il y a donc eu Rabelais, il y a eu Molière, Balzac, Flaubert… Et chacun n'a pas seulement raconté une histoire différant seulement des autres dans les détails. Il y a eu bien plus, et il faut des considérations historiques et de la théorie littéraire pour le comprendre. Oui, nous sommes… « contents » de lire le dernier roman primé (quoi que ;-) ), mais nous pourrions tout aussi bien en lire un, dix, cent, mille… que nous aurions ainsi seulement passé notre temps, occupé nos "loisirs" sans avancer beaucoup dans la littérature. Au fond, la question récurrente n'est pas tant de savoir si  tel roman nous a plu, s'il a fait vibrer telle sensibilité idiosyncratique que nous avons (elle a du  sentiment, ma vache), mais plutôt de voir quel est l'apport réel, littéraire,  d'un auteur. L'histoire -j'espère- ne retiendra que les changements de paradigmes, pas les détails.

Vite, passons aux sciences de la nature,  puisque c'est cela qui nous importe. Rendons-nous un jour à une séance publique de l'Académie des sciences, de l'Académie d'agriculture, de l'Académie de pharmacie... Regardons autour de nous, et interrogeons-nous  : qui, demain, restera ? Pour quel travail ? Quel travaux seront reconnus comme véritablement novateurs ?
Pour répondre à ce genre de questions, la faveur du public et l'engouement de la presse ne comptent guère, et c'est surtout le travail qui importe. Ainsi, alors que Marcellin Berthelot était un quasi dieu vivant, à son époque, et que Pierre Duhem était relégué à l'université de Bordeaux, l'histoire des sciences chimiques a conservé Duhem et n'a gardé que de pâles échos de Berthelot.  Le comité Nobel fait-il mieux ? L'examen de la liste des lauréats du prix Nobel de chimie montre de vraies différences de niveau :  tous n'ont pas la stature de Langmuir !
Évidemment, dans la sélection historique, de nombreux facteurs jouent. Un personnage qui n'aurait été que peu connu à son époque ne l'a pas influencée beaucoup, de sorte que son nom est moins connu qu'une des stars du moment. D'ailleurs, nombre de scientifiques éloignés de la France ou de l'Angleterre, aux 17e  et 18 e siècles, s'en sont plaint. Par exemple, au fond des pays nordiques, Carl Scheele fut moins reconnu pour sa découverte de l'oxygène que Joseph Priestley, qui était un personnage étonnant, remuant, et donc très largement entouré en Angleterre. Pour cette découverte de l'oxygène, d'ailleurs, on pourrait dire que Priestley a reconnu le dioxygène sans bien comprendre qu'il s'agissait d'un nouvel élément, que Scheele a fait mieux, puisqu'il a fait la découverte avant lui, mais c'est Lavoisier qui a bien identifié un « principe » nouveau, raison pour laquelle il parlait du "principe oxigyne". Bien sûr, le mot "élément" n'était pas prononcé, mais tout  allait de pair : le nouveau  gaz, le nouvel élément, la réfutation du phlogistique, ce principe qui aurait eu une masse négative et que le feu (considéré comme un élément) aurait donné aux métaux, ce qui aurait expliqué pourquoi les oxydes métalliques pèsent plus que les métaux (la masse de l'oxygène s'ajoute à celle du métal, dirait-on plus justement aujourd'hui). Et si Lavoisier fut grand, plus grand que Scheele ou que  Priestley, c'est bien parce que, abattant la théorie du phologistique, il mit les sciences chimiques sur leur piste moderne. Il dépassa la découverte d'un simple produit supplémentaire, fondant la chimie moderne, ce que ne firent ni Priesteley ni Scheele. On aurait donc raison de garder les noms de Priestley ou de Scheele, pour la découverte du dioxygè, mais on aura surtout raison de garder celui de Lavoisier. Scheele pouvait justement se plaindre d’être loin, mais il ne vaut pas Lavoisier, qui  fit gravir aux sciences chimiques une marche immense.
Je continue de poser la question : qui,  aujourd'hui, au-delà des éloges contemporains,  restera dans l'histoire des sciences ?

vendredi 13 novembre 2015

Tout ce qui est superflu est gênant

Le superflu est gênant. Ici je propose deux champs d'application de cette idée que je crois générale : la littérature et les sciences de la nature.
Pour la littérature, il y a la question essentielle de la lisibilité : si nous digressons,  nos interlocuteurs perdront  le fil, et, à moins que ce ne soit une idée artistique d'égarer nos amis, la digression est une faute. De même pour l'épithétisme, qui consiste à accumuler des adjectifs qualificatifs, des épithètes. Quand l'épithétisme est involontaire, quand  il est seulement une sorte de logorrhée incontrôlée, notre lecteur s'y perd, parce qu'il ne voit plus où diriger sa pensée. Bien sûr, là aussi, des artistes peuvent jouer de la faute pour la transformer en qualité... mais n'est pas Rabelais qui veut !  Le plus souvent, l'expérience montre que l'épithétisme n'est pas voulu, et que le lecteur le subit : le superflu est gênant.
Passons maintenant aux sciences de la nature. On vient de m'afficher une diapositive pour me présenter les matériels et les méthodes qui étaient employés pour une étude scientifique. La diapositive était  surchargée de détails inutiles à la compréhension : la taille des béchers, l'hygrométrie, la température… Je ne dis pas que mon interlocuteur  avait tort de consigner toutes ces indications... mais il fallait qu'il le fasse dans son cahier de laboratoire, et qu'il m'évite les détails inutiles, qui m'empêchaient de bien comprendre son discours. Et pourquoi n'aurait-il pas été jusqu'à m'indiquer à quelle heure il s'était  brossé les dents ? On ne montre en public que ce qui a fait l'objet d'un peu de travail, de soin ; quand on reçoit un ami, on s'assure, dit Jean-Anthelme Brillat-Savarin, de son bonheur pendant tout le temps qu'il est sous notre toit. De même, lors d'une présentation scientifique, on doit surtout se préoccuper de bien faire  comprendre nos travaux à nos interlocuteurs.
Cela vaut pour les publications scientifiques. J'ai vu aussi, récemment, dans l'introduction d'un article scientifique des considérations qui avaient bien peu de rapport avec le sujet  du travail présenté. Quand on tombait sur ces indications, on passait un long moment à s'interroger pour savoir quel était le rapport avec le sujet, et finalement on ne le trouvait pas... parce qu'il n'y en avait pas. Notre auteur nous avait fait perdre notre temps. On voit que, là encore, le superflu est gênant.
Nous n'avons considéré que deux champs, mais n'aurions-nous pas raison de généraliser, et de conserver cette idée générale : le superflu est gênant ?
Elaguons afin d'aider nos amis à comprendre que nous voulons leur dire. Et c'est ainsi qu'un discours épuré, structuré, atteindra mieux son but qu'une accumulation désordonnée.

PS. On n'oubliera pas un de mes billets où je discutais la question d'une possible élégance  du baroque. Le baroque est tout accumulation, alors que l'élégance semble être une pureté de ligne, où tout ajout est gênant. Peut-il exister un baroque élégant ? Voilà la question qui est posée par ailleurs.

samedi 29 août 2015

Parenthèses et perles collantes

On ne m'attend pas sur le terrain littéraire, mais c'est pourtant une de mes vieilles passions que la littérature.  Pas le roman balzacien, ni ses pauvres avatars modernes (bien que je répugne à nommer avatars de Balzac les derniers Goncourt ou autres, dont les fautes de langues passent inaperçues à leurs auteurs qui ne travaillent pas assez, et proposent l'étalage de leurs égos comme idée artistique). Non, pas ces publications de gare, que je me répugne à nommer de la littérature, ,puisqu'il s'agit seulement d'occuper quelques heures par des histoires que l'on raconte aux enfants. On lira ou relira le Pour un nouveau roman, de Robbe-Grillet, d'une merveilleuse lucidité, sans compromission ni mauvaise foi.

 Bref, on ne m'attend pas sur le terrain littéraire, mais c'est une de mes vieilles passions, et, sans la moindre prétention (Flaubert écrivait sept phrases par jour, et Rabelais était bien supérieur), j'ai un faible pour les analyses littéraires de bon aloi, telle l'oeuvre de Vladimir Propp, qui a bien montré, aux débuts d'un structuralisme qu'il est aujourd'hui de bon ton de critiquer (pourquoi, au fait ?) que les contes populaires russes étaient construits comme des systèmes de parenthèses emboitées. C'est ainsi, en conséquence, que j'ai construit nombre de mes conférences, à défaut d'en faire des articles et des livres. J'avais d'ailleurs de la joie à refermer des parenthèses que j'avais ouvertes, même si mon auditoire se perdait parfois dans l'ouverture successive d'histoires emboitées, ce qui a été parfois pris pour des digressions.
Cette narration n'est toutefois ni la plus évidente, donc, ni la seule possible....

La suite sur
http://www.agroparistech.fr/Parentheses-et-perles-collantes.html

Parenthèses et perles collantes

On ne m'attend pas sur le terrain littéraire, mais c'est pourtant une de mes vieilles passions que la littérature.  Pas le roman balzacien, ni ses pauvres avatars modernes (bien que je répugne à nommer avatars de Balzac les derniers Goncourt ou autres, dont les fautes de langues passent inaperçues à leurs auteurs qui ne travaillent pas assez, et proposent l'étalage de leurs égos comme idée artistique). Non, pas ces publications de gare, que je me répugne à nommer de la littérature, ,puisqu'il s'agit seulement d'occuper quelques heures par des histoires que l'on raconte aux enfants. On lira ou relira le Pour un nouveau roman, de Robbe-Grillet, d'une merveilleuse lucidité, sans compromission ni mauvaise foi.

 Bref, on ne m'attend pas sur le terrain littéraire, mais c'est une de mes vieilles passions, et, sans la moindre prétention (Flaubert écrivait sept phrases par jour, et Rabelais était bien supérieur), j'ai un faible pour les analyses littéraires de bon aloi, telle l'oeuvre de Vladimir Propp, qui a bien montré, aux débuts d'un structuralisme qu'il est aujourd'hui de bon ton de critiquer (pourquoi, au fait ?) que les contes populaires russes étaient construits comme des systèmes de parenthèses emboitées. C'est ainsi, en conséquence, que j'ai construit nombre de mes conférences, à défaut d'en faire des articles et des livres. J'avais d'ailleurs de la joie à refermer des parenthèses que j'avais ouvertes, même si mon auditoire se perdait parfois dans l'ouverture successive d'histoires emboitées, ce qui a été parfois pris pour des digressions.
Cette narration n'est toutefois ni la plus évidente, donc, ni la seule possible....

La suite sur
http://www.agroparistech.fr/Parentheses-et-perles-collantes.html

mercredi 14 novembre 2012

Que mes amis de science me pardonnent...

Ce matin, le billet ne concerne pas la science, sauf de façon bien lointaine, à considérer comme Lavoisier et Condillac que la science, c'est le langage.

Alain Robbe-Grillet, que j'ai déjà évoqué ici, parlait de la nullité littéraire des littératures militantes (l'art n'a que faire de la politique) ou des bégaiements du roman balzacien, ce que, hélas, bien des rédacteurs en chef d'aujourd'hui n'ont pas compris, eux qui revendiquent que l'on "raconte une histoire".

Robbe-Grillet explique de façon bellement clairvoyante que Balzac a été un dangereux anarchiste littéraire, comme Flaubert, comme... La littérature -l'art littéraire- n'a que faire de la répétition des mêmes "formes littéraires" (et on ne prendra pas ici le mot "forme" en opposition à "contenu" : voir Robbe-Grillet qui explique bien pourquoi), et le Nouveau Roman, qui a tant choqué, percole aujourd'hui, même si tant d'écrivains qui vivent de leur plume à défaut de produire des oeuvres véritablement littéraires, s'impose au XXe siècle (http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/CPB76069770/alain-robbe-grillet.fr.html)

Toutefois, le message de Robbe-Grillet est un peu compliqué, et la transposition en peinture est plus simple : elle fait mieux comprendre l'idée.
Les Egyptiens représentaient des personnages de profil. Puis on a appris à représenter différemment. Au Moyen-Age, toutefois, on ne représentait pas en petit ce qui est loin, et en gros ce qui est près, mais la taille des personnages dépendait de leur importance sociale. Vint la Renaissance, avec la perspective géométrique.
Ce n'était pourtant ni un progrès ni un aboutissement. Certes, cette perspective montre comme on voit... mais voit-on vraiment ainsi ? Guernica et bien d'autres oeuvres plus modernes ont bien montré que l'on peut représenter en "dépassant" la perspective géométrique. Bref, il serait dépassé de peindre comme à la Renaissance.
De même pour les "histoires que l'on raconte" : oui, c'est possible d'en faire ainsi, mais, du point de vue littéraire, c'est aussi dépassé que la perspective géométrique.

Et c'est parce que l'art est dans un dépassement qui n'est pas un progrès, mais une émanation d'une culture, que l'art est beau !