Le travail de Louis Pasteur en chimie, replacé dans un cadre qui montre une série de belles personnalités :
J'ai expliqué cette image en détail lors d'un récent colloque Pasteur :
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
Le travail de Louis Pasteur en chimie, replacé dans un cadre qui montre une série de belles personnalités :
J'ai expliqué cette image en détail lors d'un récent colloque Pasteur :
Dans un billet précédent, j'ai discuté des questions de virtuosité, en condamnant les musiciens qui jouent vite, sans comprendre que la question est la musicalité, et pas la capacité idiote de bouger rapidement les doigts.
Ici, je veux discuter la question de l'interprétation. Stricto sensu, comme pour le mot "traduction", l'interprétation s'impose. La musique est écrite, et on la veut jouée. Il faut donc bien, comme le dictionnaire le dit, passer d'une langue (écrite) à une autre (jouée).
Mais, de même qu'un traducteur qui ferait dire à un texte ou à une personne tout autre chose que ce qui était initialement énoncé, un interprète doit rester fidèle à l'oeuvre, sans quoi il n'a pas le droit de dire que c'est cette oeuvre-là. Au mieux, il pourrait dire alors qu'il l'a changée, utilisée, pastichées, que sais-je ?
C'est le cas pour la cinquième symphonie de Ludwig van Beethoven, jouée très lentement, alors que Beethoven était fasciné par le métronome, nouvellement introduit, et qu'il avait très explicitement indiqué comment son oeuvre devait être jouée ! Pour d'autres compositeurs, qui n'ont pas laissé d'indication, la musicologie a précisément cet intérêt qu'elle nous permet de savoir le tempo qui s'impose. Par exemple, une bourrée n'est pas une sarabande, et un menuet n'est pas un grave. Et comme pour virtuosité, une interprétation qui ne serait pas fidèle serait... infidèle, ce qui est quand même une honte.
Souvent, on peut incriminer l'ignorance, l'absence de travail, des erreurs de jugement, et cela est en quelque sorte moins grave que le mépris des oeuvres, la volonté naïve de jouer "comme on le sent".
Inversement, il faut saluer le travail des musicologues qui mettent les interprètes -fidèles, ou, au moins ayant la volonté de l'être- sur la voie de l'oeuvre telle qu'elle a été conçue.
Ce qui pose la question des instruments : d'époque ou pas ? Alors que la musique baroque est en vogue, grâce à quelques uns qui ont restauré des instruments d'époque, qui ont appris à en jouer aussi fidèlement que possible, que penser de l'interprétation sur des instruments modernes ? Bach au piano, alors qu'il ne connaissait que le clavecin, l'épinette ou l'orgue ? Haëndel à la flute traversière Böhm, alors qu'il n'y avait que des flûtes en bois, sans doute bien plus fausses que nos flûtes modernes ? Des trompettes modernes, alors que la possibilité de jouer toutes les notes de la gamme n'est apparue que récemment ?
Là, j'ai parlé de musique... mais pour les sciences de la nature : ne devrions-nous pas, quand nous explorons des travaux de scientifiques du passé, chercher à nous mettre mieux dans les conditions de l'époque ?
Par exemple, avant le congrès des chimistes de Karlsruhe, la notion de "molécule" était essentiellement celle de Haüy, confondue avec celle d'atomes : de petites choses, mal perçues. Et ce fut le travail de Cannizzaro que de partir d'Amedeo Avogadro pour proposer de l'ordre dans les notions de chimie. Lothar Meyer a dit ""Les écailles semblaient tomber de mes yeux." Autrement dit, on est mal avisé de répéter comme un perroquet que Louis Pasteur a découvert la dissymétrie moléculaire, en croyant qu'il s'agit de notre chiralité moderne : dans un de mes articles de recherche en histoire de la chimie, j'ai bien établi que Pasteur, avant 1860, confondait atomes et moléculaires, et que ces mots signifiaient seulement "tout petits constituants de la matière".
Mais je préfère vous laisser lire : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/des-cristaux-dauguste-laurent-et-des-techniques-danalyse-optique-de
Quand on raconte l'histoire de Louis Pasteur, et notamment son travail de séparation de deux formes de l'acide tartrique, on dit souvent qu'il a fait cela à la pince, sous le microscope, et c'est là quelque chose de très difficile... mais je viens de découvrir dans les publications de Pasteur qu'il soignait les cristallisations, et obtenait "quelquefois des cristaux de plusieurs centimètres de longueur et d'épaisseur".
Là, c'est quand même plus facile !
Alors que je discute encore de la différence fondamentale, essentielle, existentielle même, entre les sciences de la nature et la technologie, je reçois cette question : "Quelle différence entre un scientifique et un ingénieur ?"
Par scientifique, on a compris que mon interlocuteur parle des sciences de la nature, et non pas des sciences de l'humain et de la société. Pour l" ingénieur", de même, on a compris qu'il considère ceux qui se préoccupent de technologie, qu'il ne pense pas aux ingénieurs commerciaux, par exemple.
Quelle différence, donc, entre un scientifique et un ingénieur, au sens restreint indiqué ? Les activités humaines sont caractérisés par leur objectif : pensons à la destination dans un voyage. Cette destination est accessible quand on emprunte un chemin, qui -faut-il le souligner ?- dépend de la destination. De même que l'on n'arrivera jamais à Colmar si l'on ne s'est pas posé la question de savoir que l'on voulait y aller, et d'avoir répondu que l'on voulait aller à Colmar, on n'arrivera pas à faire de la science si l'on sait pas ce qu'est la science, et l'on ne fera pas bien de la technologie, le métier des ingénieurs au moins pour certains, si l'on ne sait pas bien ce qu'est la technologie.
La science ? C'est la recherche des mécanismes des phénomènes par une méthode qui consiste à identifier les phénomènes, à les caractériser quantitativement, par des nombres, des mesures, à réunir les données en équations nommées lois, puis à introduire des concepts nouveaux, compatibles avec toutes ces équations pour former des théories, théories dont on cherche des conséquences théoriques que l'on teste expérimentalement, en vue de réfuter nos propres théories, de les améliorer.
L'objectif est clair, la méthode, c'est-à-dire le chemin, l'est aussi. Et tout ce qui détourne le scientifique de son chemin, tout ce qui ne fait pas partie de la description précédente, compromet la réussite de ce projet scientifique. Les grands scientifiques du passé se sont largement exprimés à ce propos : "Y penser toujours", recommandait Louis Pasteur.
Pour la technologie, maintenant, l'objectif est bien différent, puisqu'il s'agit de trouver des applications des connaissances scientifiques, de parvenir à mettre ces connaissances en œuvre, pratiquement, pour arriver à des résultats concrets.
Et c'est ainsi que les ingénieurs fabriquent -merveilleusement : ne soyons pas blasés !- des fusée, des avions, des ordinateurs, des médicaments, des cosmétiques... Faire ces produits de façon moderne, innovante, impose de très bien connaître les résultats des sciences de la nature, mais l'objectif est alors bien différent : il ne s'agit pas de produire ces résultats, ce qui prendrait du temps à la recherche des applications, mais seulement d'en avoir connaissance et de chercher à les appliquer.
Il y a donc là une destination différente de celles des sciences, un objectif différent, et toute seconde détournée de ce chemin-là compromet la possibilité d'atteindre l'objectif technologique, que ce soit des tracas familiaux, de santé, ou des errements dans des travaux scientifiques au lieu d'être technologiques.
Autrement dit, le scientifique ne peut pas perdre son temps à faire un autre métier que le sien, et l'ingénieur non plus. Les deux doivent certainement se parler, mais sans confondre leurs objectifs, puisque ces objectifs sont différents.
D'ailleurs, certaines grosses sociétés l'ont compris puisque, ayant quelque temps payé des services de recherche scientifique, elles les ont finalement fermés pour ne garder que les services de "recherche et développement" : cette terminologie anglicisante signifie recherche d'applications et mise au point ; pas recherche scientifique ! D'ailleurs, ces sociétés ont eu raison de comprendre qu'elles ne faisaient pas leur métier, qu'elles ne pouvaient pas produire de la science, car les conditions différaient trop de celles de la production scientifique, les évaluations des personnes ne pouvaient se faire de la même façon que pour les ingénieurs ; bref, c'était une autre culture, d'autres objectifs, d'autres chemins.
Oui, même si le prix Nobel couronne à la fois des travaux scientifiques et des travaux technologiques, il y a lieu de nous souvenir de Louis Pasteur, qui fut un excellent chimiste, au sens scientifique du terme... avant de changer de voie pour la technologie. C'est lui-même qui l'a écrit, quand il critiquait l'expression fautive de "science appliquée" : non, il y a de la science, et des applications de la science, et il n'y a pas de relations entre les deux. D'ailleurs Pasteur signalait lui-même qu'il s'était résolu à se consacrer finalement aux applications de la science parce qu'il y voyait une "utilité" plus immédiate de son travail.