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mardi 11 avril 2023

J'ai (re)lu la Logique, de Condillac ?

 Pourquoi lit-on un livre ? 

Je propose la comparaison suivante : de même l'on accroche aux murs de son appartement des tableaux, qui sont une façon de se parler à soi-même, de s'entretenir d'idées exprimées par les toiles, de même on lit des livres afin de se meubler l'esprit, afin d'y loger des idées. 

Cela n'est donc pas anodin, et il faut peut-être dire plus qu'on ne le fait aujourd'hui que le choix de ses lectures est essentiel, non seulement en termes de temps passé, mais aussi en termes d'embellissement de l'esprit : il est vrai que la lecture d'une bande dessinée minable (on voit donc que je fais la distinction entre les différentes bandes dessinées, lesquelles ne sont pas toutes de la même qualité : répétons que, pour la plupart des tâches, tout est une question d'exécution, donc d'individu) empiète sur la lecture de Condillac, par exemple. 

Et il est vrai aussi que l'intérêt d'un livre se mesure aussi au nombre d'idées qu'il fait surgir. 

 

Cela étant posé, pourquoi lire Condillac ? 

 

Bien sûr, il s'agit d'un « grand auteur », il s'agit d'un de ces noms qui restent dans l'histoire... mais cela est bien insuffisant, car cela s'apparente à un argument d'autorité, ce genre de choses contre lesquelles je propose de résister. 

Alors, pourquoi lire Condillac ? Dans mon cas, je lis Condillac, parce que Lavoisier le citait. A plusieurs reprises, Lavoisier évoque Condillac afin de discuter la relation entre une langue analytique, une langue bien faite, et la pensée, et la chimie. L'idée essentielle de Lavoisier, qu'il attribue à Condillac, c'est que les phénomènes que la science quantitative explore sont manipulés, appréhendés, par des pensées, et que ces pensées correspondent à des mouvements. 

Longtemps, j'ai proposé de prendre cette idée à la lettre, concluant qu'il fallait une langue précise pour faire de la bonne science. Toutefois, Einstein et Poincaré, notamment, discutant l'origine des idées qu'ils avaient eues, ont tous deux dit qu'ils avaient des idées sans les mots, et que c'était donc un de leurs efforts que d'aller chercher des mots pour exprimer des idées qui étaient en eux. On ne peut évidemment balayer d'un revers de la main de telles déclarations ! 

 

La conclusion de cette affaire, c'est qu'il faut aller y voir de plus près... et, donc, lire Condillac. 

 

Aujourd'hui, je ne dirais plus les choses comme je les disais, mais je continue à soutenir, évidemment, que la langue que nous utilisons doit être d'une très grande précision. 

Dans la méthode scientifique, le calcul se déroule, mais, finalement, il y aura quand même son expression en langage naturel, l'affichage au monde, et à soi-même, des mécanismes des phénomènes que l'on aura explorés. 

Là, on retrouve Michael Faraday, qui introduisit des mots pour désigner des concepts nouveaux, par exemple « lignes de champ magnétique ». Ces mots s'ajoutent à ceux qui ont été introduits pour désigner des objets nouveaux : électrode, anode, cathode, ion... Des exemples récents ? Je vous invite à lire cet article merveilleux de Jean-Marie Lehn, paru en 2005, sur les dynamères. Le mot « dynamère » désigne des objets qui étaient dans les esprits, mais qui n'  « existaient » pas véritablement tant qu'ils n'avaient pas été nommés, et c'est un des mérites de cet article (un parmi bien d'autres) d'avoir introduit un mot que nous utilisons maintenant pour désigner des objets, pour échanger à leur propos, facilement 

 

La question des mots en science est passionnante, parce qu'il y a toujours l'hésitation entre l'introduction de mots creux de mots « pleins ». 

Un mot creux est un mot inutile, redondant, un mot qui n'aide pas la pensée. Un mot plein, c'est un mot qui conduit à bien identifier des objets, à les faire apparaître comme nouveaux du simple fait qu'ils ont été nommés. Des polymères dynamiques, ce n'est pas nouveau, au fond, mais des « dynamères », c'est-à-dire la même chose, cela devient une catégorie d'objets très clairement perçus, et sur laquelle nous pouvons travailler. 

Condillac ? Il fut important au siècle des Lumières par son analyse de la pensée, du langage, et c'était un philosophe qui séduisit bien des scientifiques. Sa Logique ? Elle est certes intéressante, mais son intérêt principal n'est-il pas en ce que nous ferons, après sa lecture ?

vendredi 6 avril 2018

Au premier ordre, Condillac

Enfin, je comprends que mes hésitations personnelles à propos de la "querelle de Lavoisier contre Poincaré" ne concerne qu'une partie réduite de mes amis ! Je me suis trompé de combat, et il faut promouvoir absolument l'usage d'une langue juste, et ne cesser de proposer ces trois liens :

http://atilf.atilf.fr/
http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser
http://www.projet-voltaire.fr/blog/


Mais je me vois bien incompréhensible, et j'explique, maintenant.
Naguère, émerveillé par les avancées intellectuelles d'Antoine Laurent de Lavoisier, j'avais partagé avec mes amis mon admiration pour ses idées exprimées dans un texte sur les oxydes, où il introduit le formalisme actuel de la chimie : c'est bien à lui que l'on doit les équations chimiques telles que "NaOH + HCl →NaCl + H2O".
Partant de ce texte, j'avais découvert le Traité élémentaire de chimie, que Lavoisier publié pour proposer un cadre cohérent à la chimie moderne qu'il avait fondée, en bannissant l'idée abracadabrante de "phlogistique" (en gros, une matière de masse négative) et en réformant la terminologie chimique, reléguant dans les oubliettes de l'histoire  des terminologies alchimiques qui manquaient de ce systématisme rationnel qui est la marque des sciences : fini les "sublimés corrosifs" ambigus, les "cristaux de Saturne", les "mercure précipité" ou "mercure sublimé", les écumes de Diane, les cornes de cerf... aussi variables qu'incertains.
Mais, surtout, Lavoisier était inspiré par l'abbé de Condillac, qui revendiquait une langue juste pour une pensée juste. Et c'est ainsi que, dans l'introduction de ce traité, il écrit :

"C’est en m’occupant de ce travail, que j’ai mieux senti que je ne l’avois, encore fait jusqu’alors, l’évidence des principes qui ont été posés par l’Abbé de Condillac dans sa logique, & dans quelques autres de ses ouvrages. Il y établit que nous ne pensons qu’avec le secours des mots ; que les langues sont de véritables méthodes analytiques ; que l’algèbre la plus simple, la plus exacte & la mieux adaptée à son objet de toutes les manières de s’énoncer, est à-la-fois une langue & une méthode [iij] analytique ; enfin que l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite.  [...]  L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage". 

Oui, il faut de bons mots pour de bonnes pensées, car les mots sont comme les outils de l'ébéniste : on ne fera pas du bon travail si l'on confond le marteau et le ciseau à bois ! D'ailleurs, c'est surtout sur le langage technique que l'on voit l'importance de la juste terminologie : si le marin confond la drisse avec l'écoute, le bateau chavire !
Et, évidemment, c'est avec cette idée que je ne cesse de consulter les dictionnaires, et notamment les bons dictionnaires sont j'ai donné les liens
Avec http://atilf.atilf.fr/, on comprend ce que signifient les mots ; la partie inférieure des entrée donne l'étymologie et l'histoire des termes, ce qui explique notamment pourquoi il n'y pas d'exacts synonymes en français.
Mais pour en savoir plus de ce point de vue, il faut consulter : http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser
Et comme nous devons nous présenter à nos amis sous nos plus beaux atours, il n'est pas inutile de consulter celui-ci, également  : http://www.projet-voltaire.fr/blog/

J'étais donc dans un sentiment très condilliacien, pendant longtemps, jusqu'à ce que tombe sur ce texte de Poincaré sur l'invention mathématique. Poincaré ? Henri, bien sûr ; le mathématicien. Par Raymond, le président du Conseil. Henri Poincaré fut un mathématicien extraordinaire, et il s'intéressa à l'épistomologie, et, aussi, à la production des connaissances mathématiques. Dans un de ses textes, il écrit que la difficulté, pour lui, n'était pas d'avoir des idées mathématiques nouvelles, mais de mettre des mots dessus pour pouvoir les partager avec sa communauté.
Oui, à l'opposé d'un Lavoisier, pour qui les idées scientifiques peuvent naître quasi mécaniquement, du maniement des mots, Poincaré voit dans le langage -qu'il veut d'ailleurs tout aussi précis- une fonction plus utilitaire.

Un jour, descendant faire mon cours de gastronomie moléculaire, je compris que Lavoisier était dans l'erreur... pour la production scientifique. Le maniement automatique des mots est "mortifère", et il faut de l'induction pour faire de la science neuve. Il faut "faire des sciences en artiste", aurait dit Poincaré (pour les mathématiques). Oui, il y a cette étape inductive, et non déductive, essentielle en production scientifique.
J'avais donc relégué Lavoisier dans un coin... Mais je me reprends : la fréquentation quotidienne de mes jeunes amis montre que la question essentielle n'est pas d'abord la production scientifique, mais son apprentissage. Et, pour apprendre, il faut les bons mots. Les idées de Poincaré viendront bien plus tard, et elles n'ont pas de place pour commencer.
Oui, les idées condillaciennes sont au premier ordre, et les variations de Poincaré n'arrivent qu'ensuite.


Il faut le dire avec force : 

ayons de bons mots pour bien penser  ! 









samedi 22 août 2015

Comment le soliloque conduit à de nouvelles idées

Le soliloque ? C'est, pour le dictionnaire, le fait de parler à voix haute, quand on est un enfant qui fait une tâche difficile. J'interprête que l'enfant focalise l'ensemble de sa pensée sur la difficulté, et je déduis que les mots sont importants pour la pensée, ce que n'aurait pas ni l'abbé de Condillac.
Mais la "méthode du soliloque" est aussi une de mes trouvailles (je ne prétends pas que d'autres n'aient pas quelque chose d'analogue, mais je n'en ai pas connaissance), qui permet  à la fois de penser, d'écrire, de parler.

De quoi s'agit-il ? Je me suis inspiré de Denis Diderot (qui n'a jamais produit, à ma connaissance toujours, de méthode analogue à celle que je discute ici), qui, dit-on, était inmanquable : quand on entrait dans un café où Diderot se trouvait, on le repérait immédiatement, parce qu'il gesticulait, haranguait son entourage avec feu... Dans l'Encyclopédie, il est nécessairement plus calme, mais le feu est alors intellectuel. Et, surtout, sa correspondance nous le montre vif argent. Comment a-t-il pu écrire autant ? Sur tant de sujet ? Certes, il s'est mis en condition de le faire, mais j'imagine aussi qu'il devait avoir une méthode intime, et, puisque je ne connais pas cette méthode, je l'ai inventée... et c'est cela que j'ai nommé la méthode du soliloque.

De quoi s'agit-il ? Il s'agit de reconnaître que notre esprit est encombré de mille idées variées, et que, pour penser, il nous faut nous focaliser sur une idée seulement. Ce qui me fait penser que, quand les enseignants disent à des élèves ou étudiants "concentrez-vous", l'injonction est bien étrange, car comment faire pour  se concentrer ? La méthode du soliloque est une réponse.
J'y reviens, donc : notre esprit est plein d'idées disparates qui sont en concurrence (les impôts, le plombier, un rendez vous à organiser, penser à ses clefs...) et cela nous gêne pour penser. Si nous parlons (à voix haute, dans un dictaphone) ou si nous écrivons, alors un seul mot sort à la fois, et si nous avons ce mot sous les yeux (parce que nous écrivons ou parce qu'un logiciel de reconnaissance vocale nous le transcrit), alors nous pouvons fixer plus  facilement notre attention.

Voilà pour la première moitié de la méthode. La seconde moitié, c'est de considérer chaque mot qui est déjà émis, et de l'analyser, de tous les points de vue qui sont en notre possession... et c'est là où la "culture" est essentielle. Analysant, d'autres mots sont émis, qui seront analysés à leur tour, et se constituera ainsi un discours que nous pourrons ultérieurement ordonner.

Bien sûr, cette méthode foisonnante fait risque le bourgeonnement baroque excessif, mais à nous, ensuite, d'ordonner, de construire a posteriori.
Je passe sur des tas de détails de la méthode, car je n'en fais pas ici un cours, mais je m'arrête sur une observation : n'est-il pas merveilleux que, ainsi, la pensée sécrète la pensée ?
Pour celles et ceux qui sont intéressés par cette question, il y aura à considérer les discussions sur le langage... et c'est ainsi que, parti de Condillac, on y revient !