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mardi 12 décembre 2023

Beurre nantais ? Beurre blanc ? Non, sauce blanche !

 Ce matin, une question à propos de "beurre nantais"

 

Bonjour Monsieur This,

Je suis  nantais d'origine et  adepte de la sauce au beurre blanc (parfois appelée beurre nantais).
Je m'adresse à vous car je pense que vous êtes à même d'expliquer le pourquoi du comment quant à la réussite ou le ratage de cette sauce. Je la rate plus souvent (à mon grand désespoir) que je ne la réussis ! Et j'aimerais ne pas la rater pour les fêtes de Noël...

Après moult essais et recherches sur internet, je ne trouve pas d'explications scientifiques poussées.
Chacun a son explication ou son astuce mais sans trop pouvoir la justifier :

- couper menu les échalotes ??
- réduire très lentement le mélange échalotes + vinaigre + vin ??
- ajouter systématiquement du vin au vinaigre ( pb d'acidité ? acidité du vin moins importante que celle du vinaigre ? )
- laisser refroidir complètement la réduction d'échalotes avant d'incorporer le beurre ??
- ajouter de la crème avant d'incorporer le beurre ??
- ajouter un filet d'eau froide ??
- incorporer le beurre froid  ou très froid ( il y a apparemment un consensus là dessus) ??      en petits morceaux ??
- mélanger le beurre sans jamais cesser de fouetter délicatement en formant des 8 et à feux doux ??
- beurre clarifié ??
- difficile de la réchauffer au bain-marie ??

Quelles sont dans toutes ces manipulations, les vrais gestes à faire et surtout pour quelles raisons je suis un?

Je vous ai connu par le biais de vos articles très intéressants dans la revue Pour la Science ( et gastronomie)
J'ai une formation scientifique ( baccalauréat C). J'aimerais comprendre le ou les phénomènes physico-chimiques inhérents à l'élaboration du beurre blanc.

Je crois avoir compris que le beurre est une émulsion inversée  "eau dans huile" .

Est-ce qu'une question de température (froid au départ, pas trop chaud ensuite mais quels seraient alors les seuils à ne pas dépasser)  et/ou d'acidité (vinaigre, vin), ou bien autre chose encore ?

En résumé, que se passe-t-il chimiquement pour que cette sauce au beurre blanc soit si instable ?

Je suis tombé sur ce podcast, certes intéressant, mais ne fournissant pas suffisamment d'explications ( il est question du beurre blanc des minutes 10 à 18) :
https://www.franceinter.fr/vie-quotidienne/le-beurre-blanc

J'espère que vous comprendrez mon interrogation et que vous pourrez y répondre malgré votre temps précieux.

Merci d'avance.
Bien gastronomiquement.

 

Et voici ma réponse
 
Merci pour votre message.
La première des choses que je fais, quand je discute d'une recette, c'est de savoir vraiment ce dont je parle... et cela m'a conduit à faire, chaque semaine, une recherche historique que je publie dans les Nouvelles gastronomiques... avec de nombreuses surprises !
Et pour le "beurre blanc" : https://nouvellesgastronomiques.com/beurre-blanc-non-sauce-blanche/. 

Voici en clair : 

Beurre blanc ? Non : sauce blanche

Hervé This s’interroge sur l’appellation de cette sauce que tout le monde connaît… Le beurre blanc ? Ces billets terminologiques ont déjà plusieurs fois signalé des attributions erronées de termes, et il vient d’en trouver un nouveau…

Wikipédia signalait que, en 1890, au restaurant La Buvette de la Marine, dans le hameau de La Chebuette, lieu-dit de la commune de Saint-Julien-de-Concelles, situé sur les bords de la Loire, à quelques kilomètres en amont de Nantes, une certaine Clémence Lefeuvre aurait inventé le beurre blanc, pour le marier avec les poissons de Loire. On dit même que cela aurait résulté d’un ratage d’une béarnaise… mais c’est être bien ignorant de l’histoire de la cuisine que de propager cette idée, car on trouve déjà une sauce tout à fait analogue dans l’auteur du 17e siècle (deux siècles et demi avant cette cuisinière nantaise!) qui signe seulement de ses initiales « L.S.R », peut-être pour « le sieur Robert ».

Plus précisément, LSR, en 1643, propose de faire une « sauce blanche » avec beurre, bouillon, sel, poivre, qu’il sert sur du brochet, et qui insiste pour dire que l’émulsion doit être bien faite, sans « tourner en huile ».

Bref, Clémence Lefeuvre n’a rien inventé… d’autant que l’on retrouve encore cette « sauce blanche » chez Pierre François La Varenne : « faites une sauce avec du beurre bien frais, peu de vinaigre, sel, muscade, & un jaune d’oeuf pour lier la sauce. » Là, il détourne la sauce blanche de LSR, puisqu’il lie aux œufs. Massialot, en 1705, détourne encore davantage en proposant une sauce faite de persil, sel, poivre blanc, jaunes d’oeufs, filet de vinaigre, un peu de bouillon :cette fois, c’est une suspension, une sauce qui doit son épaisseur à la coagulation des jaunes d’oeufs plutôt qu’à l’émulsion du beurre fondu dans le bouillon dans le vinaigre.


 

A noter que tout cela se retrouve ensuite dans le "Glossaire des métiers du goût" : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire/glossaire-des-metiers-du-gout
(il me faut parfois un peu de temps pour rectifier le glossaire)

 

Cela étant, si votre recette consiste à faire revenir des échalotes avec du vinaigre et du vin, puis à ajouter de la crème et du beurre, alors je ne l'ai jamais ratée, considérant les principes sains suivants :
 

1. "Il faut au moins 5 % d'eau pour faire tenir une émulsion".

2. "Il faut des composés tensioactifs (protéines par exemple) pour assurer la dispersion stabilisée des gouttes de matière grasse dans l'eau". 


Ici, l'eau vient du vinaigre, du vin, de la crème, du beurre... mais elle s'évapore, et c'est souvent la cause du ratage.

Couper menu les échalotes ? C'est seulement une question de goût, mais il est vrai que plus vous coupez finement, plus vous libérez le contenu des cellules.

Réduire lentement le mélange échalotes+vinaigre+vin ? A ma connaissance, personne n'a encore comparé la réduction lente ou rapide, analytiquement en tout cas. Une expérience à faire... assortie d'un test triangulaire, comme je l'explique dans l'avant dernier numéro de Pour la Science
 

Ajouter du vin au vinaigre ? Je crois que la question de l'acidité est très secondaire. C'est la présence d'eau qui compte.
 

Laisser refroidir les échalotes ? Aucun intérêt."Il faut au moins 5 % d'eau pour faire tenir une émulsion".
 

Ajouter de la crème ? La crème apporte de l'eau, ce qui permet de mettre ensuite plus de beurre. Elle apporte aussi des tensioactifs, et cela est important (voir plus loin). 

Ajouter un filet d'eau froide : certainement, quand on met beaucoup de beurre, on risque de dépasser les 95 % fatidiques, et, tout comme on met du jus de citron ou du vinaigre dans une mayonnaise qui épaissit, un filet d'eau fait son office... mais dommage, car l'eau n'a pas de goût : pourquoi pas vin, vinaigre, jus de citron, thé, jus de légume, fond, jus de fruit, etc. ?

Le beurre froid, en morceaux : aucun intérêt, car il finit toujours par fondre et s'émulsionner.

Beurre clarifié : apporte moins d'eau, et le petit lait a un goût différent, donc une question de choix artistique (gustatif). Mais attention : pour un sauce sans crème, le petit lait devient essentiel, par les protéines qu'il apporte.
 

Réchauffer au bain marie ? Moi je réchauffe autant que je veux, et à plein feu, sans me fatiguer à faire un bain marie.

Bref rien de plus simple :
- le beurre fond, et fait "huile"
- il libère du petit lait (de l'eau et des protéines) quand il n'est pas clarifié
- et il faut 5% d'eau pour faire tenir l'émulsion, qui est d'ailleurs une émulsion de type huile dans eau.

Non, le beurre n'est pas une émulsion eau dans huile, comme cela est prétendu et fautivement enseigné jusque dans les écoles d'ingénieurs agronomes : voir à ce sujet mon livre Mon histoire de cuisine (fait pour des personnes comme vous), ou bien le Handbook of Molecular Gastronomy.

Les températures ? Peu importe... mais attention que plus on chauffe et plus l'eau s'évapore : pensons à nos 5%.

Instabilité de la sauce ? Les tensioactifs proviennent de la crème, du beurre... mais si l'on broie les échalotes, on peut aussi en extraire de ces dernières.
Car une émulsion, c'est de l'eau (phase continue), des gouttes d'huile, des tensioactifs pour les couvrir et les disperser.
Dans la crème et le beurre, il y a des tas de protéines, parfaitement tensioactives. Mais dans le beurre clarifié, elles ne sont pas présentes, d'où l'intérêt de la crème. A noter qu'on peut aussi ajouter des tensioactifs insipides : un quart de feuilles de gélatine, ou n'importe quel tissu végétal ou animal broyé finement (même du gazon), qui libérera des phospholipides et des protéines.

Bien cordialement, joyeuses fêtes


mardi 5 septembre 2023

On m'interroge à propos d'une "émulsion vanille"

 

On m'interroge à propos d'une émulsion vanille  : de quoi s'agirait-il ?

Je suis bien en peine de répondre... parce que je peux confectionner des milliards d'émulsions différentes, à la vanille.

Commençons simplement... pour lever une ambiguïté, ou, plus exactement, une confusion qui traîne dans beaucoup trop de cuisine : une émulsion, c'est une émulsion, et pas une mousse !
Oui, car une mousse, c'est la dispersion de bulles de gaz dans un liquide, tandis qu'une émulsion, c'est la dispersion de matière grasse liquide dans une solution aqueuse également liquide ; ou l'inverse, à savoir une dispersion de gouttelettes d'une solution aqueuse dans une matière grasse liquide.

Pour faire cette dispersion, dans tous les  cas, il faut des composer dits tensioactifs, qui vont entourer les gouttelettes dispersées.

Un exemple ? Partons de blanc d'oeuf, qui est fait de molécules d'eau parmi lesquels sont dispersées des protéines du blanc d'oeuf. Ces protéines sont comme des pelotes et, quand les fouettes, elles se déroulent et elles font des fils.
Si l'on ajoute de l'huile tandis que l'on fouette du blanc d'oeuf, alors il y a certainement des bulles d'air qui s'introduisent dans le liquide, lequel mousse, foisonne,  mais l'huile est simultanément émulsionnée, dispersée sous forme de gouttelettes dans le blanc d'oeuf, de sorte que l'on obtient un double système émulsion et mousse.
Si l'on ajoute beaucoup d'huile, la mousse va disparaître et il ne restera que l'émulsion, comme une crème, comme une mayonnaise, avec des gouttelettes de matière grasse dispersées dans l'eau. La préparation est très lisse, elle est blanche, elle n'a aucun goût... et c'est donc la possibilité de lui en donner !

Par exemple, si vous partez d'huile neutre, sans goût, que vous dans du blanc d'oeuf en fouettant, que vous obtenez donc cette émulsion que j'ai nommé un "geoffroy", vous pourrez ensuite ajouter du sucre, qui ira se dissoudre dans l'eau du blanc d'oeuf, et de la vanille qui ira parfumer le résultat :  on aura donc fait ici un Geoffroy sucré à la vanille.

J'en profite pour dire que si vous passez ce produit au four à micro-ondes, les protéines du blanc d'oeuf vont assurer la coagulation et vous récupérez une sorte de flan sucré, avec un goût de vanille : c'est ce que j'ai nommé un gibbs, quand je l'ai inventé il y a fort longtemps.

On peut donc faire des geoffroy, on peut faire des gibbs, on peut faire ce que l'on veut à condition de comprendre ce que l'on fait.

lundi 24 juillet 2023

Pardon d'être lancinant, mais c'est ainsi que j'y arriverai !

Pourquoi cette confusion persistante ? Pourquoi continue-t-on à trouver dans des revues culinaires, cette confusion entre émulsions et mousses ? Pourquoi certains cuisiniers, parfois étoilés, continuent-ils d'utiliser le verbe “émulsionner” pour décrire l'opération qui consiste à foisonner, afin de produire une mousse ? 

Certes, ils utilisent le même mixer plongeant pour faire les deux systèmes, émulsions et mousses, mais cela n'est-il pas une erreur ? 

Dans un cas, on veut seulement cisailler les gouttes d'huile, alors que, dans l'autre, on veut introduire des bulles de gaz dans un liquide. 

Les deux systèmes d'émulsions et de mousses sont des cousins, certes, mais que l'on obtient bien différemment, sous peine de bien mal travailler. Après tout, les suspensions sont également des cousins, et on les produit bien différemment, non ? 

Et j'ajoute enfin que nombre d'échecs, en cuisine, découlent de ce que l'on utilise le même outil (le fouet) pour les deux opérations, sans bien comprendre que ce fouet doit être manié bien différemment en vue d'obtenir les deux systèmes. Reste qu'il y a confusion... et confusion ! 

Une sauce mayonnaise n'a rien d'une mousse de blanc d'oeuf battu en neige, et cela fait toujours bizarre d'entendre les maîtres d'hôtel annoncer des « émulsions de fraises », quand arrive le dessert. Pourquoi la confusion ? Certes, nos cuisiniers modernes sont les héritiers d'une erreur centenaire : cela fait environ un siècle que des manuels minables ont répété l'erreur (je l'ai pistée dès 1901). 

Pour autant, n'est-il pas temps de changer ? Les professionnels, et surtout les professionnels étoilés, n'ont-ils pas un devoir vis à vis des jeunes ? N'est-ce pas à eux (ils se tapent parfois très fort sur la poitrine) d'être les premiers à apprendre le sens juste des mots, et de transmettre correctement les informations ? 

Ne nous lamentons pas, et contentons-nous d'être   actifs. Ne manquons pas une occasion de dire qu'une émulsions est une dispersion est de matières grasses dans une solution aqueuse (la matière grasse, liquide, est divisée sous la forme de gouttelettes trop petites pour être vues à l'oeil nu),  alors qu'une mousse est une dispersion de bulles d'air, souvent trop petites pour être vues à l'oeil nu. 

 

Deux systèmes différents, avec des consistances différentes ; la cuisine aura considérablement progressé, quand sachant dire les bons mots, elles saura effectuer les bonnes opérations, et, aussi, utiliser les bons outils pour obtenir des résultats précis, voulus.

samedi 20 mai 2023

Du n'importe quoi

Décidément, le talent artistique ne donne pas de compétences en physico-chimie. Ainsi, ce matin, je retrouve dans Paul Bocuse, La cuisine du marché, p. 104 :

« Comme dans la sauce hollandaise, l’huile, corps gras et fluide, se fixe aux jaunes d’oeufs qui servent de liaison et de support, mais à la condition que cette association s’effectue lentement sous l’action d’un brassage vigoureux qui développe la température de la masse et l’aère ». 

Et non : dans une mayonnaise ou dans une hollandaise, l'huile ne se "fixe" pas aux jaunes d'oeufs, et ces derniers ne servent pas de liaison ni de support. Ils se limitent à apporter des composés tensioactifs, pour la mayonnaise, et des protéines qui coagulent dans la béarnaise. 

Le "brassage" n'a pas de sens : il faut surtout diviser l'huile en gouttelettes, et il n'est pas question ni de température ni de foisonnement. 


mardi 24 janvier 2023

 Une émulsion ? Non, une mousse !!!!!



Il y a un débat sur Twitter, parce que j'ai dénoncé les appellations fautives de "pâté en croûte" ou de "pâté croûte" (on doit parler plus justement de "pâté froid"), tout comme la confusion de terrine de campagne et de pâté de campagne, par exemple.

Il y a pourtant des idées simples : un pâté, c'est dans une pâte, tandis qu'une terrine est cuite dans un récipient qui est nommé terrine, en terre.

Voilà donc quelque chose de tout simple, de très juste, et qui a le mérite, de surcroît, ne pas prononcer des absurdités, de ne pas confondre  le tournevis avec le marteau.

 

Mais c'est quelque chose que j'ai déjà souvent expliqué. Aujourd'hui je fais ce billet, parce que, la semaine dernière encore, un serveur m'a soutenu que ce qu'il me mettait dans l'assiette était une "émulsion", alors qu'il s'agissait d'une mousse.
Pourtant, les mots mousse et émulsion ne sont pas d'abord des mots culinaires, mais des mots venus de la pharmacie et de la chimie, voire de la physique. Leur définition est universelle... et connu même des enfants au moins pour les mousses : quand on agite l'eau du bain avec du savon, on obtient une mousse.

De fait,  dans mon assiette, il y avait des bulles parfaitement visibles dans un liquide, et il s'agissait donc d'une mousse, un point c'est tout.
Le serveur, lui, sans doute mandaté par le cuisinier qui faisait également la confusion, m'a annoncé une émulsion, c'est-à-dire un système physico-chimique très différent de la mousse, puisque constitué de gouttelettes de matière grasse dispersées dans un liquide aqueux.
Le prototype culinaire de l'émulsion, cest la mayonnaise, mais il y a également des sauces émulsionnées, tel les béarnaises, hollandaise, et cetera.

Résumons. Une mousse : c'est un système aérien, parfois diaphane, fait d'un gaz dans un liquide. Une émulsion : une matière grasse liquide dans un liquide aqueux. Ce n'est quand même pas difficile de faire la différence et de parler correctement, non ?

En réalité, je crois qu'il y a à la fois de l'ignorance, de la paresse ou du snobisme derrière l'utilisation du mot émulsion à la place du mot mousse : j'ai d'ailleurs déjà entendu des maîtres d'hôtel me dire que dire émulsion, c'était plus flatteur que de dire mousse. Ah bon ?

J'ai aussi entendu dire qu'il y avait une confusion possible entre la mousse, dispersion de bulles d'air dans un liquide, et les mousses de poisson, par exemple, où il y a de la crème fouettée mêlée à de la chair broyée. Mais est-ce une vraie raison pour nommer marteau un tournevis, chat un chien, casserole une araignée, écumoire une louche ?

Je maintiens absolument que les mots vont de pair avec la pensée et que quelqu'un qui dit les mauvais mots pense mal.

J'interprète aussi, dans l'épisode récent, que le jeune serveur avait été missionné par le chef... qui faisait lui-même la confusion.

Et j'ai tracé l'origine de cette faute, de cette confusion, à des erreurs enseignées par l'Education nationale au début du 20e siècle (elle s'est corrigée, depuis, notamment avec ma contribution, mais, aussi, avec celle de nombreux inspecteurs, professeurs...). D'ailleurs, j'en veux beaucoup aux auteurs du Guide culinaire qui, avec une immense autorité, ont été à l'origine de la confusion. et pas seulement de celle des mousses et des émulsions mais de bien d'autres !

Pour moi qui ai comme valeur la bonté et la droiture, pour moi qui cherche à aider mes amis et moi-même à grandir, tout ce qui peut nous rabaisser me paraît honteux, insupportable, et c'est la raison pour laquelle je cherche non seulement à faire utiliser des terminologies appropriées, avec lesquelles on pourra cuisiner mieux, mais aussi à conduire la profession à s'interroger collectivement sur la transmission, l'enseignement.

Oui, je suis resté un enfant tout à fait scandalisé par les mauvais professeurs, par les professeurs paresseux,  par les professeurs méchants... et, a contrario, j'ai un immense respect, une immense admiration, une immense reconnaissance pour les professeurs qui ont su dépasser les fautes qu'il faisaient eux-mêmes grâce à du travail effectué en vue de me faire grandir.

Je crois que toute personne qui a la responsabilité de guides des collègues plus jeunes, des enfants, des adolescent, des étudiants, devrait a minima chercher à éviter des transmissions pourries.

Plus positivement, j'invite tous mes amis à contribuer au Glossaire des métiers du goût (https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire), car il distribuera une information juste et référencée.

J'insiste sur le référencée, car cela est absent des livres de cuisine alors que c'est un minimum que l'on puisse justifier des connaissances que l'on transmet, n'est-ce pas ? C'est une essentielle question de confiance.

samedi 1 octobre 2022

La question des représentations 1/3


Le problème de la représentation est terrible, se rencontre constamment, et pas seulement en sciences de la nature, bien sûr.

Mais, dans nos cours de physique-chimie, et notamment de physico-chimie des systèmes dispersés, nous faisons usage de représentations. Par exemple, pour une sauce mayonnaise, certains représentent un fond bleu avec des disques jaunes, correspondant respectivement à une phase aqueuse et à des gouttelettes d'huile. A  la surface de ces dernières, ils font figurer des formes qui sont censées représenter des composés tensioactifs.



De telles représentations  méritent d'être largement interprétées, sans quoi notre naïveté nous conduit dans le décor.

Par exemple la phase aqueuse de la figure considérée précédemment est en réalité une solution aqueuse avec des solutés, une acidité mesurée par un pH, une force ionique...
On comprend bien qu'un sirop ne se comporte pas comme une saumure,  et que ces deux systèmes ne se comportent pas comme une eau de pluie, par exemple.
Mais il y a aussi le fait que cette solution est dynamique  : on ne doit pas oublier que les molécules d'eau sont agitées de mouvement incessants et rapides, à des vitesses de plusieurs centaines de mètres par seconde. Cette agitation moléculaire a des conséquences considérables pour les petits objets qui seraient suspendus dans l'eau : c'est notamment le mouvement brownien.
Pour les gouttelettes d'huile, il y a d'abord la question de la taille, et notamment de la taille relative par rapport à celle des molécules d'eau... car, dans la figure précédente, on a représenté des milieux eau et huile continus, sans faire état des molécules constituantes. Il y a au moins lieu de tenir compte des propriétés résultant de la nature particulière de ces composés constituant les deux phases, et l'on sait bien d'ailleurs que la viscosité de l'huile n'est pas celle de l'eau par exemple.
Mais il y a aussi la question la température, car, selon cette dernière, les triglycérides peuvent ou non cristalliser, de sorte qu'il n'est pas absolument certain que, dans les conditions que l'on considère, l'huile soit entièrement liquide (je rappelle que les physico-chimistes nomment "huile" toute phase non aqueuse).
Les tensioactifs ? Quand ils sont représentés comme nous venons de le voir, on interprète souvent qu'il s'agit de composés ayant une partie hydrophobe et une partie hydrophile, comme pour des phospholipides, par exemple.
Mais il existe en réalité  des tensioactifs très variées, et ceux qui ont des charges électriques (comme pour un groupe phosphate d'un phospholipide) ne se comportent pas comme ceux qui sont neutres électriquement.
D'ailleurs, dans des sauces comme la mayonnaise, l'abaissement de l'énergie de surface est plutôt du à des protéines qu'a des tensioactifs de type phospholipides.
De sorte qu'il vaut mieux  imaginer un schéma très différent où ce sont principalement les protéines qui sont efficaces pour la métastabilisation de l'émulsion.



Bref, regarder une image, dans un cours ou un article scientifique, ce n'est pas se contenter de regarder comme le ferait un enfant avec un livre à lui destiné, mais de s'interroger sur chaque élément de la représentation, d'imaginer les phénomènes qui ne sont pas montrés par cette image simpliste et statique.

Bref, à propos de représentation scientifique, il y a lieu de continuer à creuser, à creuser, à creuser encore... et, en disant ces mots, comment oublier cette merveilleuse fable de Jean de la Fontaine, à propos du laboureur et de ses enfants ?

samedi 4 septembre 2021

A propos de mixer : le prix s'oublie et la qualité reste


Il faut bien avouer que le prix s'oublie et que la qualité reste ! Et c'est particulièrement vrai pour les ustensiles culinaires  !
Ayant à trouver un nouveau mixer plongeant, pour une maison qui n'est pas la mienne, je suis allé dans deux grandes surfaces voisines, où... je n'ai eu que ce que je méritais. 

Pour la première, je cherchais donc un appareil pour faire mes bisques, par exemple : il faut alors un couteau qui ne casse pas quand il tombe sur une pince de langoustines, et qu'il soit possible de nettoyer sans trop de difficultés. Surtout, comme on sait la fragilité de certains plastiques, j'ai bien regardé comme les pieds des différents modèles s'inséraient dans le corps de l'appareil, qui contient le moteur... et je n'ai rien trouvé de satisfaisant. Il a fallu que je me rabatte sur un moulin à légumes... pour lequel j'ai longuement hésité. 

Et, finalement... le récipient en verre supérieur a cassé presque à la première utilisation, quand j'ai mis un liquide chaud dedans !
Puis, comme j'avais besoin d'un produit équivalent, je me suis rabattu sur le mixer plongeant le moins cher... dont le corps s'est détaché du pied après quelques jours : une camelote ! Bien sûr, on peut faire marcher la garantie... mais c'est chaque fois fois du temps, des tracas...

A l'opposé, j'ai chez moi un Micromix de Robot Coupe depuis des années, et il est mis à rude épreuve... mais il est d'une robustesse extraordinaire... puisqu'il continue de bien fonctionner. Le corps est en métal, ainsi que le pied ; le système de liaison est sans défaut, le nettoyage est facile, puisque l'on peut détacher le couteau, et même si je ne l'utilise que pour couper finement, sans l'employer pour foisonner, il me rend parfaitement service.
Oui, il est plus cher que les camelotes du supermarché, mais on comprend que les Tontons Flingueurs avaient raison !



Un détail : il est livré avec deux outils, à savoir un couteau et une pale verticale plate, pour... Pour quoi faire, au juste ?
Dans nombre de cas, ces appareils permettent de faire des émulsions, qu'il ne faut pas confondre avec des mousses (certains, qui ignorent que le mot désigne un déchet, disent "écume"). Je répète qu'une émulsion, c'est la dispersion de matière grasse fondue dans une "solution aqueuse". Par exemple, une mayonnaise est une émulsion, puisque l'huile est dispersée par le fouet dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf et le vinaigre. Par exemple, un beurre blanc est une émulsion, puisque la matière grasse du beurre, fondu, vient se disperser dans l'eau apportée par le vinaigre, ou jus de citron, et par le petit lait du beurre. Par exemple, du chocolat à croquer chauffé dans de l'eau (du thé, par exemple) fait une émulsion de chocolat (dont on peut ensuite faire un "chocolat chantilly").
Voila pour les émulsions. Les mousses, c'est quand on introduit un gaz (le plus souvent de l'air) : avec un fouet, avec un siphon, ou avec un appareil comme ce Micromix dont je vous parlais, quand on y met la pale verticale, et que l'on n'enfonce pas trop.

En réalité, cette pale verticale permet de faire tout aussi bien des émulsions que des mousses, mais évidement, il ne faut pas confondre les deux résultats ! Hélas, je me suis encore vu servir dans un restaurant une "émulsion de citron", disait le maître d'hôtel, et qui était une mousse de citron. Je ne crois pas que le monde culinaire y gagne à confondre marteau et tournevis, chat et chien, bleu et rouge... Il faut les bons mots pour les bons objets, pour faire de la bonne technique.


Mais pour conclure :
1. Le prix s'oublie et la qualité reste : je conclus (pour moi) que je ne ferai plus les bêtises évoquées plus haut. 


2. Se pose maintenant la passionnante question suivante : ayant un bon outil, à quoi l'utiliserons-nous ? Et notamment, sur la question du principe, quelles préparations nouvelles ferons-nous ? On sait que des mixers ont révolutionné la préparation des quenelles, par exemple : mes amis cuisiniers me disent que naguère, on les faisait au tamis et à la corne ! 


3. Comment la technique permet-elle de transformer un art tel que l'art culinaire ? Voilà encore une question passionnante, qu'il faudrait bien étudier, en vue de préparer le futur.

mercredi 21 juillet 2021

Monter une mayonnaise



Quand on fait de la mayonnaise, on part de jaune d'œuf, de vinaigre, sel, poivre,  et l'on ajoute de l'huile en fouettant.
Je ne reviens pas sur le fait que l'utilisation de moutarde conduit à la confection d'une rémoulade et non plus d'une mayonnaise, car je veux arriver au fait : monter une mayonnaise provoque-t-il une augmentation de volume ?

La réponse et oui, puisque, parti d'un petit volume d'oeuf et de vinaigre, on ajoute de l'huile. Le vague espoir de mauvaise foi de certains cuisiniers est que l'on ajouterait également de l'air, et qu'une mayonnaise bien monté serait foisonnée, c'est-à-dire pas aussi grasse que nos bourrelets ne le supportent.

Désolé :  l'observation au microscope est absolument sans appel. Non, il n'y a pas de bulles d'air dans les mayonnaise, mais seulement des gouttelettes d'huile tassées les unes contre les autres dans la phase aqueuse faite du mélange de jaune d' œuf et de vinaigre. 



On ne dira jamais assez qu'une mayonnaise c'est de l'huile, d'abord de l'huile, encore de l'huile. De l'huile déguisée en sauce ! D'ailleurs, si la mayonnaise retombe, alors on voit bien l'huile  surnager, et personne ne mangerait cela !  C'est seulement parce que l'huile a été incorporée  sous forme d'une sauce onctueuse que l'on se permet de manger de la mayonnaise,  mais c'est quand même de l'huile, et pas de l'air.

Pour conclure, monter une mayonnaise, c'est augmenter son volume en dispersion de l'huile dans une phase aqueuse et le fort volume que l'on obtient est un volume d'huile, essentiellement. Un peu d'eau, pas d'air. De l'huile, de l'huile !


lundi 3 août 2020

Des questions d'émulsions

Nous sommes bien d'accord : en cuisine, le plus souvent, une émulsion est une dispersion de gouttelettes de matière grasse dans une "phase aqueuse", qui peut être du bouillon, du vin, du jaune d'oeuf additionné de vinaigre (pour la mayonnaise), de la moutarde et du vinaigre (pour la rémoulade), du jus de légumes ou de fruits, etc. Très rarement, on a l'inverse, à savoir la dispersion d'eau dans une matière grasse liquide, mais en aucun cas l'émulsion ne se confond avec la mousse, laquelle est une dispersion de bulles d'air, dans un liquide. On terminera en signalant que, pour faire la dispersion, il faut des composés "tensioactifs", dont les plus courants culinairement sont les protéines ou les phospholipides (du jaune d'oeuf), ou, ce qui  a été découvert en 1904, mais qui est très à la mode en science et technologie de l'aliment aujourd'hui, des particules variées (pour des "émulsions de Ramsden", parfois fautivement nommées "émulsion de Pickering").

Tout cela étant dit, nous pouvons maintenant examiner la question que je reçois aujourd'hui par email :

Bonjour Monsieur,
Où puis-je trouver la réponse aux questions suivantes :
1. Je fais une vinaigrette allégée en utilisant 50% d’huile, 50% d’eau, du vinaigre, du sel/poivre et une cuillère de fécule de maïs.
2. Par quel procédé physico-chimique l’émulsion est-elle réalisée ?
3. J’imagine que l’amidon de la fécule de maïs entre en jeu, mais comment ? est-ce que le sel joue également un rôle ?
Où puis-je trouver une réponse documentée à ce type de question ? Dans l’un de vos ouvrages ? blog ? Une autre source ?
Par avance, merci INFINIMENT pour votre réponse,
Bien à vous.


Dès le début de la question, je m'étonne que l'huile soit disposée en premier, car si l'on fouette un liquide dedans, on risque de ne pas faire une émulsion huile dans eau, mais plutôt eau dans huile : je suppose que mon interlocutrice a donné les ingrédients dans un ordre  qui n'était pas celui de la recette, et qu'elle  a plutôt commencé par l'eau, le vinaigre, le sel et le poivre, puis la fécule de maïs, avant d'émulsionner l'huile.

Et dans cette hypothèse, on peut imaginer que la fécule de maïs ait été ajoutée dans l'eau chauffée, de sorte qu'elle s'est empesée, ce qui a conduit à une phase aqueuse très visqueuse, où l'huile a pu être émulsionnée grâce aux divers composés tensioactifs qui trainent dans tous les ingrédients, notamment la fécule. Ou alors des particules de fécule auraient dispersé les gouttelettes ? Manifestement, il me faut des précisions sur la recette... et un microscope pour explorer ce système.

Pour la question 2, le procédé est l'agitation, qui divise l'huile en gouttelettes.

Pour la question 3, j'ai répondu plus haut, mais non, le sel ne joue probablement pas de rôle... alors que le poivre pourraient apporter des composés ou des particules utiles.

Mais j'attends des précisions sur la recette, afin de mieux analyser.

vendredi 17 janvier 2020

L'osso bucco



Aujourd'hui c'est à propos d'osso bucco que l'on m'interroge mais je risque de me répéter un peu,  car la question essentielle de l'osso bucco, c'est de bien attendrir la viande. Or j'ai déjà largement discuté de cette question de l'attendrissement des viandes à la cuisson, et notamment de l'emploi des basses températures.
En pratique, c'est simple : il suffit de cuire longuement à basse température pour que la viande, qui contient souvent de tissu collagénique abondant, puisse se défaire progressivement, libérant le collagène dégradé qui contribue à faire l'onctuosité du jus de cuisson.
D'ailleurs, dans ce dernier, les tomates sont "fondues" :  cela signifie qu'elles se sont complètement défaites, surtout si on les a bien mondé et épéminé, ce qui ne demande qu'un passe de dix à vingt secondes dans de l'eau bouillante. 

Mais, à propos d'osso bucco, il faut évoquer le quignon de pain grillé que mettent ceux qui ne font pas revenir la viande initialement, en la singeant, c'est-à-dire en saupoudrant de farine, qui permet ensuite de lier la sauce.
Et il y le zeste de citron !  Tout tient dans cette observation qui est que l'on obtient des effets d'inflammation amusants quand on presse la  peau d'un citron, d'une orange ou d'un pamplemousse devant une bougie. C'est que ce liquide contient notamment un composé nommé limonène et bien d'autres composés odorants qui donnent le goût particulier que l'on a quand on utilise des zestes de citron. Naguère, je me suis étonné que ces composés odorants puissent être présents dans la sauce, faite d'eau... car ils ne sont quasiment pas soluble dans l'eau. Mais il y a d'une part le fait qu'ils ne sont pas complètement insolubles :  la très petite quantité qui passe dans l'eau suffit à donner beaucoup de goût. Et, surtout, le fait qu'ils peuvent se dissoudre dans la matière grasse émulsionnée dans la sauce : tout cela fait un goût merveilleux !

jeudi 16 janvier 2020

Réussir les brandades de morue


On m'interroge ce matin à propos de brandade de morue. 


La question s'apparente à celle qui portait sur les terrines, car il y a encore de la chair -ici de poisson, là d'animal terrestre- qui est travaillée et cuite, avec ajout de matières grasse.
Mais il y a des différences importante, et notamment le fait que, pour la brandade de morue, la chair n'est pas hachée, mais seulement cuite longtemps, avec le fait que le poisson contient très peu de tissu collagénique, contrairement à la viande, de sorte que  les fibres musculaires se séparent facilement les unes des autres.
Enfin il y a pas le fait que si les terrines peuvent être grasses, en raison de la gorge de porc (par exemple) que l'on utilise, la brandade, elle, comporte parfois une quantité d'huile considérable. 


Reprenons les choses pratiquement 

Nous partons de poisson, et ce poisson est chauffé avec un peu de lait,  de sorte que les fibres musculaires, tuyaux très fin juxtaposé en faisceaux par peu du collagène,  se séparent progressivement les unes des autres. C'est cela, le poisson qui s'émiette quand on le travaille dans la casserole avec une cuillère en bois.
L'ail ?  Il est là pour donner du goût, mais il est vrai qu'il apporte également de quoi "émulsionner" l'huile, comme quand on fait un aïoli, à partir d'olive que l'on disperse dans l'ail pilé. D'ailleurs, le fait de beaucoup travailler la brandade en ajoutant l'huile permet de faire exactement comme pour une mayonnaise, à savoir que le filet d'huile est divisé en gouttelettes qui se dispersent dans ce que l'on nomme la phase aqueuse  du plat, l'eau ayant été apportée soit par le lait, soit par le poisson puisque les fibres musculaires contiennent de l'eau, soit par l'ail.
Oui, les brandade de morue sont des systèmes émulsionnés, un peu comme des mayonnaises où les gouttes d'huile sont dispersées dans l'eau par le fouet.

Et l'on comprend à la fois les conditions de réussite et les raisons des échecs.

Pour réussir, il faut bien disperser l'huile, ce qui impose un travail mécanique notable :  l'émulsion ne se fait pas en claquant des doigts.
On comprend que l'on puisse échouer quand les conditions d'une émulsion ne sont pas réunies, c'est-à-dire :
- soit quand on a pas assez travaillé l'huile,  donc,
- mais aussi quand on a pas assez d'émulsifiant, ce qui signifie en pratique que l'on a pas assez travaillé le poisson pour libérer les protéines qui vont  émulsionner l'huile,
- soit quand il y a trop peu d'eau, parce que c'est une bonne règle pratique de toujours penser que dans une émulsion,  il faut un minimum de 5 pour cent d'eau par rapport à l'huile.



PS. Bien sûr, on peut ajouter de la pomme de terre, si l'on veut ! Et l'on peut frire des croquettes de brandade, notamment après les avoir passé dans de l'oeuf battu


samedi 16 novembre 2019

Des questions


Ce matin, des questions techniques :

1. Comment incorporer des oeufs dans du beurre pommade afin d'obtenir une masse homogène, sans grumeaux de beurre ?
2. Est-ce que le fait de clarifier le beurre avant de l'émulsionner avec du sucre, permet d'obtenir un mélange qui ne se sépare pas au frigidaire par la suite ?


Pour la première question, il y donc lieu de disperser des oeufs, à savoir une solution aqueuse, dans du beurre, lequel a une structure qui change avec la température. Certes, si la température est basse, la proportion de matière grasse sous la forme solide est élevée, et il y a peu de graisse en phase liquide. Dans la structure solide, l'eau du beurre (un peu moins de 20 pour cent) est dispersées, et le malaxage du beurre avec l'oeuf ajoute des "poches" aqueuses dans le solide.
Mais quand  la température augmente, alors la fraction de solide est réduite, et l'on s'approche d'une phase huile, où l'"eau" de l'oeuf se disperse facilement. Et plus on bat, plus les poches d'eau sont petites et dispersées, comme dans une émulsion de bon aloi (ici, une dispersion d'eau dans la matière grasse, contrairement à une mayonnaise, qui est une émulsion de matière grasse dans l'eau).
Bref, j'aurais tendance à réponse qu'il suffit de battre suffisamment, dans un beurre pas trop froid.

Pour la seconde question, je ne sais vraiment pas, car l'oeuf apporte de l'eau, en plus de l'eau présente dans le beurre... et, d'autre part, je n'ai jamais observé  la séparation du mélange au réfrigérateur, comme cela est indiqué.

vendredi 24 mai 2019

La lécithine ?

Dans une discussion relative à la couleur de la mayonnaise,  je vois évoquée la lécithine de soja. 
Je m'en étonne, car il n'y a absolument pas besoin de ce "produit" (on verra plus loin pourquoi j'utilise le mot "produit" que le mot "composé") pour faire une mayonnaise. 

Et je rappelle  : 
1. que la loi impose 8 % de jaune d' œuf dans une mayonnaise ; des sociétés qui prétendaient faire des "mayonnaises sans oeuf" viennent de se faire épingler pour tromperie
2. qu'il y a dans le jaune d'oeuf tous les ingrédients nécessaires à la production de la sauce mayonnaise, sans qu'il soit ni nécessaire ni honnête d'ajouter de la lécithine de soja, laquelle n'a rien à faire dans une telle sauce.

Mais commençons par le commencement, à savoir par dire ce qu'est une mayonnaise
La mayonnaise est une émulsion que l'on obtient en dispersant de l'huile sous forme de gouttelettes microscopiques dans l'eau présente dans le mélange initial que l'on fait à partir de jaune d'œuf et de vinaigre. 
Pour faire une mayonnaise, aucun autre ingrédient que le jaune d'oeuf, le vinaigre et l'huile (plus sel et poivre) n'est nécessaire, et mieux, aucun autre ingrédient ne doit être présent, sans quoi la sauce n'est plus une mayonnaise, mais une autre sauce. 
Et l'on se rappelle que je revendique absolument , pour les produits alimentaires, que ces derniers soit sains, loyaux et marchand. Loyal, cela signifie qu'une mayonnaise est une mayonnaise et non pas une autre sauce qui en aurait l'apparence. 
J'insiste enfin  pour rappeler qu'il n'y a pas de moutarde dans une mayonnaise, sans quoi ce n'est plus une mayonnaise mais une rémoulade. 
À propos de "la lécithine" maintenant.
Partons des bonnes sources, à savoir le Gold Book de l'International Union of Pure and Applied Chemistry: les lécithines sont des esters choliques d'acides phosphatidiques, à savoir que leur formule est du type :
L03494
Source:
PAC, 1995, 67, 1307 (Glossary of class names of organic compounds and reactivity intermediates based on structure (IUPAC Recommendations 1995)) on page 1347
Ces composés sont des "phospholipides", ce qui signifie qu'ils comportent un groupe phosphate, et une partie lipidique (représentée par la lettre R sur la figure). On aurait donc d'oublier le singulier de parler au pluriel des lécithines. 
Cela dit, les phospholipides composent les membranes de toutes les cellules vivantes, animales ou végétales, et ils sont abondants dans l' œuf, puisque le poussin qui se formera à partir dudit oeuf a besoin de phospholipides pour bâtir les membranes de ses cellules. 
Or,  puisqu'il y a des phospholipides dans le jaune d'œuf, pourquoi en ajouter ? De surcroît, on ajoutera que ce ne sont pas essentiellement les lécithines ou les phospholipides qui assurent la stabilité de l'émulsion, mais les protéines qui sont apportées également par le jaune d' œuf. 
Bref, avec le jaune d' œuf, on a de l'eau et des composés tensioactifs qui sont d'abord les protéines et ensuite les phospholipides, qui viennent tapisser la surface des gouttelettes d'huile que l'on disperse dans l'eau par le travail du fouet, ce qui produit émulsion. 
Dans le passé, on a pensé que les mayonnaise étaient stabilisées par les phospholipides, notamment par des lécithines, mais les progrès des sciences nous permettent aujourd'hui de dire que ce sont surtout les protéines qui sont utiles. 


Et les ollis

Je termine en signalant une de mes très anciennes inventions : les ollis. De même que l'on peut faire de l'aïoli en broyant de l'ail, puis en émulsionnant de l'huile dans l'ail broyé, j'ai montré que l'on pouvait obtenir des émulsion, par ce même procédé, à partir de n'importe quel tissu végétal ou animal : broyé, un tel tissu libère des protéines et des phospholipides, de sorte qu'une émulsion nommée "olli" peut être obtenue. Pas besoin de "lécithine", ni de lécithines, ni d'aucun autre ajout... mais les ollis ne sont pas des mayonnaises. 

Il faut revendiquer haut et fort : la mayonnaise, c'est l'émulsion que l'on obtient en émulsionnant de l'huile dans le mélange de jaune d'oeuf, vinaigre, sel et poivre !

samedi 22 septembre 2018

Une émulsion, c'est de la matière grasse dispersée dans une solution aqueuse fait

Cela fait plusieurs fois de suite que, dans des restaurants, le maître d'hôtel m'annonce en dessert une émulsion. De fraise, de tomate, de mangue, de citron…
Chaque fois, je remets la personne à sa place… parce que, interrogeant mon interlocuteur, je vois qu'il veut dire « mousse ». Jusqu'à de grands chefs qui font la confusion, ce qui ne légitime pas l'acception fautive qu'ils font : même si le président de la république nommait « chat » un animal à quatre pattes qui aboie, je le reprendrais pour lui dire qu'il se trompe, et qu'il doit dire chien.
Pourtant, c'est tout simple : comme indiqué au début de cette chronique, une mousse, c'est un système liquide où sont dispersées des bulles d'air, petites ou grosses, visibles à l'oeil nu ou non ; en revanche, une émulsion, c'est un système liquide où sont dispersées des gouttelettes d'huile, petites ou grosses, visibles à l'oeil nu ou non.
Ainsi, un blanc en neige est une mousse, mais une mayonnaise est une émulsion. Un liquide que l'on éjecte d'un siphon est une mousse, mais un aïolli est une émulsion. Bien sûr, il y a des cas plus compliqués, comme la crème fouettée, mais le plus souvent, il suffit de se repérer à ce qui est dispersé : bulles de gaz ou gouttes de matière grasse ?
Pour la crème fouettée, reprenons doucement. On part du lait, qui est une émulsion, puisqu'il y a des gouttelettes de matière grasse dispersées dans l'eau du lait. Le mot « émulsion », d'ailleurs, vient du latin emulgere, qui signifie « traire ». Quand le lait repose, les gouttelettes de matière grasse monte à la surface du liquide, et l'on a la crème, encore faite de gouttes de matière grasse dans de l'eau. Puis, quand on fouette la crème, on la « foisonne », ce qui signifie qu'on la fait mousser. La crème fouettée, la crème chantilly, sont des émulsions foisonnées.
Et là, récemment, on m'a interrogé : l'appareil à génoise est-il une mousse, ou bien une émulsion ? Partons de la recette, qui se fait avec de l'oeuf (beaucoup d'eau) et du sucre, lequel se dissout dans l'eau de l'oeuf. Si l'on fouette, le mélange prend du volume et blanchit: pas de doute, c'est parce que d'innombrables bulles d'air sont dispersées dans le liquide. L'affaire est classée : l'appareil à génoise est une mousse, pas une émulsion !

samedi 1 septembre 2018

De l'eau dans le beurre

Je raconte là des choses très anciennes, puisqu'elles figurent même dans les Ateliers expérimentaux du goût, introduits dans l'Education nationale par le Ministre d'alors, en 2001. Et les expériences correspondantes datent sans doute des années 1992-1993. On trouvera des répercussions de tout cela dans des travaux proposés à Pierre Gagnaire, qu'il s'agisse de pâte feuilletée ou de ce que j'ai introduit sous le nom de beurre chantilly
Mais répétons-nous pour que tous aient facilement les informations. La question, c'est celle de l'eau et du beurre. Mais présentons les protagonistes.


Le beurre

Le beurre, c'est du beurre, et l'on comprend mieux sa constitution quand on part du lait. Le lait, c'est de l'eau avec, dedans, des composés variés dissous, et des gouttes de matière grasse dispersées. C'est donc une "émulsion".
Comme la matière grasse est moins dense que l'eau et, a fortiori, que l'eau où sont dissous des composés (on parle de "solution aqueuse"), les gouttelettes de matière grasse montent s'accumuler en surface quand le lait repose. Et c'est ainsi que la crème est une émulsion, comme le lait, mais plus concentrée en gouttelettes de matière grasse.
Si l'on bat la crème, alors les gouttelettes de matière grasse fusionnent, formant un réseau de graisse dans lequel l'eau et ses composés dissous reste un peu dispersée : c'est le beurre, dont la formation s'accompagne de la libération d'une partie de l'eau, et cette partie  aqueuse qui n'est pas dans le beurre est le babeurre.
Une précision pour terminer  : selon la loi, qui veut éviter que des fabricants ne vendent pour du beurre qu'une matière contenant trop peu de matière grasse, le beurre ne peut pas contenir plus de 18 pour cent d'eau (environ un cinquième, donc)...  mais je dis cela pour vous laisser pressentir la suite.


L'"eau"

Bien sûr, l'eau, c'est l'eau : une matière dont toutes les molécules sont identiques, dont toutes les molécules sont faites d'un atome d'oxygène et de deux atomes d'hydrogène. L'eau est liquide, parce que les molécules bougent en tous sens, comme des billes agitées, et l'on comprend que si l'on incline le récipient, les billes qui bougent puissent passer par dessus le bord. Enfin l'eau à la température ambiante est inodore, insipide, incolore, et bien sûr liquide, donc.
Les solutions aqueuses sont de l'eau où d'autres composés sont dissous. Par exemple, si l'on dissout du sel dans l'eau, ou du sucre, on obtient respectivement des solutions salées ou sucrées. Mais il y a d'infinies façons de faire des solutions aqueuses, et c'est ainsi que le vin, le thé, le café, les infusions, les bouillons (de viande, de légumes), les jus de fruits, les fumets, les essences, et jusqu'aux glaces et demi glaces sont des solutions aqueuses. Plus ou moins concentrées, mais toujours des solutions aqueuses.


Et les deux ensemble

Partons maintenant de beurre, et battons-le en ajoutant une solution aqueuse, tel du café : on voit le café s'intégrer au beurre... et voilà pourquoi j'évoquais la législation. Lors de la production, on peut mettre dans le beurre bien plus que 18 pour cent d'eau ou de solutions aqueuses. Combien ? Je suis allé jusqu'à plus de deux fois la masse de beurre en solution aqueuse intégrée progressivement, en battant.
Bien sûr, la matière produite est bien plus molle, mais elle a l'avantage que l'on peut lui donner beaucoup de goût. Je vous recommande l'ajout de jus de citron, d'orange, une infusion de verveine, du persil broyé avec de l'ail... Et, en version sucrée, du jus d'abricot, de framboise, etc.

Mais il y a une autre façon de faire, à savoir de partir du beurre, de produire du beurre clarifié, sans eau, donc.
Partons du beurre clarifié, que nous ajoutons à un liquide, en chauffant : par exemple, nous avons un bouillon concentré, et nous ajoutons le beurre clarifié en fouettant comme pour une mayonnaise. On obtient une émulsion, préparation qui a la consistance d'une mayonnaise, et qui est faite de gouttelettes d'eau dispersées dans du beurre.
Mais on peut aussi partir du beurre clarifié refroidi, où l 'on ajoute l'"eau" en battant comme pour la "crème au beurre" précédente. Et on a cette fois un système physique différent. On dit que l'on a dans le premier cas une émulsion de type huile dans eau, et dans le second une émulsion de type eau dans l'huile.
Une précision utile : ici, puisqu'il est question d'émulsion, il n'y a pas de bulle d'air, pas de mousse, pas de foisonnement. Je répète qu'une émulsion, c'est le lait, la crème, la mayonnaise... alors que la mousse, c'est... la mousse, à savoir des bulles d'air dispersées dans une matière, liquide ou solide. Et pas de place pour de prétendues "espumas" : les mousses se nomment des mousses, en français.

 Pour terminer

 Oui, pas d'air dans les émulsions... mais on peut faire des émulsions foisonnées, et c'est ainsi que je vous propose mon "beurre chantilly". Ce n'est pas de la crème chantilly avec du beurre, non. C'est une préparation qui a la consistance d'une chantilly, et que l'on obtient de la façon suivante :
 - on part d'une solution aqueuse, dans une casserole (parfois, il faut avoir dissous de la gélatine)
- on ajoute du beurre en chauffant et en fouettant
 - on pose la casserole sur des glaçons ou dans de l'eau froide et l'on fouette pour foisonner, comme pour une chantilly
Et hop, on obtient une préparation comme une chantilly, mais au goût de la solution aqueuse : par exemple, du jus de citron, d'orange, etc.
C'est cela, le beurre chantilly, que j'ai inventé vers 1995. 





jeudi 2 août 2018

Comment rater une mayonnaise

 Comment rater une mayonnaise ? Souvent, l'analyse des échecs est fructueuse parce que, a contrario, elle permet d'identifier les bons gestes. Quand on suit un protocole moderne, pour la confection d'une mayonnaise,  il est rare que la sauce tourne. Mais on peut se forcer une fois, en sachant toutefois qu'on pourra la rattraper ensuite.

Partons donc des ingrédients de rigueur, à savoir un jaune d' œuf et du vinaigre. Combien ? Disons pour simplifier un volume de vinaigre environ égal à celui du jaune d' œuf. Pas de moutarde, sans quoi nous ferions une rémoulade et non pas une mayonnaise.
Nous avons donc le vinaigre et jaune d' œuf dans un bol, et à l'aide d'une fourchette ou d'un petit fouet, nous mélangeons les deux ingrédients. Là, aucun risque. Mais prenons quand même soin de bien mélanger les deux ingrédients, jusqu'à une apparence homogène du mélange.
Ajoutons maintenant d'un coup une grande quantité d'huile, par exemple dix fois plus que le volume total du jaune d' œuf et du vinaigre, et fouettons : c'est la catastrophe, puisque le fouet ne parvient pas à disperser le mélange de jaune d' œuf et de vinaigre dans l'huile. Plus exactement, il y parvient, mais on a une structure très hétérogène à l'oeil nu,  avec des parties visible d'une phase dans l'autre phase.
Ce qu'il faut savoir pour interpréter ce phénomène, c'est que les composés actif pour faire les "émulsions" telles que les mayonnaises, dans le jaune d'oeuf, assurent bien la présence d'huile dans l'eau, et non pas d'eau dans l'huile, comme dans cette première expérience. D'huile ? Oui, l'huile que l'on a ajoutée. Mais d'eau ? D'où vient-elle ? Le jaune d'oeuf d'est composé de 50 pour cent d'eau, et le vinaigre de  90 pour cent. Mélanger le vinaigre et le jaune d'oeuf, c'est mélanger de l'eau à de l'eau, comme dans un mélange de sirop de sucre et de saumure : l'eau se mélange à l'eau, emportant les composés qui y sont dissous.  Quand la quantité d'huile est supérieure à la quantité d'eau, alors la dispersion se fait, comme on le voit, mais ne parvient pas à faire une émulsion homogène à l'oeil nu, et elle est très instable :   on voit bientôt l'eau tomber au fond du bol, et l'huile venir surnager.

On comprend a contrario, d'un même coup,  la méthode qui permet de  rattraper la mayonnaise tournée et la méthode qui permet de  réussir une mayonnaise.

Tout d'abord, pour rattraper la mayonnaise tournée : il faut attendre que l'"eau" sédimente et que l'huile surnage : on récupère l'huile en décantant, et on l'ajoute à nouveau, comme si l'on commençait une nouvelle mayonnaise.

Pour réussir, cette fois ? Il faut ajouter l'huile par petite quantité dans l'eau afin que le fouet disperse l'huile dans l'eau au lieu de disperser l'eau dans l'huile. Le travail du fouet doit être vigoureux, pour que l'on obtienne une bonne émulsion, suffisamment stable parce que formée de très nombreuses gouttelettes très petites, si petites que le système complet est apparemment homogène, disons homogène à l'oeil nu.



On obtient alors un système beaucoup plus stable que le précédent :  celui d'une émulsion qui a quelque chance de tenir pendant les temps habituel de consommation.
Ajoutons alors encore de l'huile, petite quantité par petite quantité, toujours en fouettant afin de diviser l'huile en petites gouttes qui viennent s'accumuler, et l'on obtient finalement une émulsion bien ferme.

Gardons de toute cette analyse la règle principale  : pour réussir une sauce mayonnaise, ou une autre émulsion analogue, il faut ajouter l'huile par petites quantités et fouetter énergiquement de telle façon à chaque ajout l'homogénéité apparente, à l'oeil nu, soit assurée.

dimanche 3 juin 2018

Rattraper une sauce mayonnaise

Lors du dernier séminaire de gastronomie moléculaire, j'ai signalé - en passant- que l'on pouvait très facilement rattraper une sauce mayonnaise ratée, et c'est vrai que je montrais cela à la télévision dans les années 1990 : pour moi, c'est une vieille lune !

Pourtant, une participante du séminaire me signale que des "connaisseurs disent que c'est impossible".
Des connaisseurs ? Je rigole !


Tout d'abord, la mayonnaise

Premièrement, j'espère que les fameux connaisseurs de ma correspondante savent que l'on ne doit pas confondre une sauce mayonnaise et une sauce rémoulade... même si l'on peut rattraper les deux, de la même manière. 

La sauce rémoulade : c'est l'ancêtre de la mayonnaise, et elle contient de la moutarde (donc du vinaigre) et de l'huile ; le jaune d'oeuf est facultatif.
La sauce mayonnaise : un jaune d'oeuf, une cuillerée de vinaigre, du sel, du poivre, et de l'huile que l'on ajoute en fouettant.

Dans les deux cas, le microscope montre que l'on disperse l'huile sous la forme de gouttelettes dans l'eau apportée soit par la moutarde, soit par le jaune d'oeuf, et par le vinaigre. On obtient ainsi une "émulsion".


Pourquoi ça peut rater

La mayonnaise peut effectivement rater, et la principale raison tient au fait que l'huile n'est pas bien dispersée dans l'eau.
Par exemple, en début de préparation, si l'on a trop d'huile d'un coup, alors le fouet disperse plutôt l'eau dans l'huile que l'huile dans l'eau. Mais pas de chance : les "tensioactifs", ces composés du jaune d'oeuf qui assurent l'émulsification (la dispersion de l'huile) ne font pas bien la stabilisation de l'eau dans l'huile. Et la sauce tourne.
On peut aussi faire rater exprès, ce que je faisais en direct à la télévision, en ajoutant beaucoup d'huile d'un coup, et en battant mollement.
Bref, dans tous les cas l'huile et l'eau se déparent.

Et comment on rattrape

Rattraper ? C'est un jeu d'enfant, si l'on pense seulement que toutes les molécules nécessaires à une mayonnaise sont présentes, et seulement ma réparties.
En pratique, on attend que les deux phases eau et huile se séparent, on décante l'huile dans un bol à part, puis on la remet, goutte à goutte, dans la phase eau, en fouettant.

Je crois être champion du monde de la mayonnaise le plus grand nombre de fois ratée (exprès) et rattrapée : huit fois.
Alors, les "connaisseurs" : qui battra ce record ?

mercredi 9 mai 2018

Il y a les protéines thermocoagulantes, et les autres

Les protéines sont variées. Toutes ont des molécules faites par des successions de résidus d'acides aminés, mais leurs "activités biologiques" sont variées.
Ainsi, il y a les enzymes,  qui sont comme des "ouvriers moléculaires", capables de modifier d'autres composés ; pensons aux enzymes polyphénoloxydases qui, libérées en présence polyphénols quand on coupe un végétal, conduisent à l'apparition de produits brun foncés.  Mais il y a aussi des "canaux membranaires" : dans les membranes des cellules vivantes, des protéines s'associent pour ne laisser entrer ou sortir que certains composés. Récemment, par exemple,  des chimistes ont exploré les aquaporines qui permettent aux molécules d'eau d'entrer ou de sortir des cellules vivantes. Et puis il y a aussi des protéines de stockage, des protéines antibactériennes, tel le lysozyme du blanc d'oeuf, ou encore des protéines "constitutives", tel le collagène, qui fait les tissus conjonctifs, ce ciment des cellules animales des tissus musculaire.

Mais ces différentes catégories sont  fonctionnelles au sens de la biologie, pas de la cuisine. En cuisine, c'est en quelque sorte plus simple : il y a des protéines capables de coaguler à la chaleur, et d'autres qui ne coagulent pas.
Par exemple, l'ovalbumine, dans le blanc d'oeuf, est "thermocoagulante", alors que la gélatine, qui est la forme un peu dégradée du collagène, ne coagule pas à la chaleur... mais peut s'associer en un réseau de gel, à froid.
D'ailleurs on doit ajouter que certaines protéines qui ne coagulent pas à la chaleur (pensons à des caséines, par exemple) peuvent néanmoins "cailler", par exemple, en milieu acide, ou bien en présence d'enzymes telles que la chymiosine de la présure (pour la confection des fromages).

Pour la cuisine note à note, ces dernières distinctions sont celles dont on aura besoin, par exemple pour faire des "diracs" (voir les billets qui leur sont consacrés).
Pour les émulsions ou les mousses, en revanche, la question  est plus facile, comme le montre l'exemple des "würtz", ces mousses que l'on obtient en fouettant un liquide où l'on a ajouté de la gélatine. Certes, toutes les protéines n'ont pas les mêmes propriétés de moussabilitié, mais je répète que la question se pose moins.

Vive la cuisine note à note !

samedi 5 mai 2018

Comment faire des ganaches avec un goût sur mesure, en vue de faire des bonbons de chocolat ?

Comment faire des ganaches avec un goût sur mesure, en vue de faire des bonbons de chocolat ?

Classiquement, les ganaches s'obtiennent de la façon suivante :
 - on fait bouillir de la crème
 - on fait fondre du chocolat
- on mélange les deux masses, en prenant soin de faire venir le chocolat fondu dans la crème.


La façon la plus classique de donner du goût à une ganache consiste à infuser la crème ou le chocolat avec un produit (café, thé, etc.).

Mais il y a bien plus simple... quand on n'oublie pas que, au premier ordre :
 - la crème est émulsion, avec de la matière grasse dispersée dans de l'eau
 - le chocolat, c'est environ moitié sucre et moitié matière grasse

Autrement dit, pourquoi ne pas remplacer la crème para une émulsion faite avec une solution aqueuse (thé, café, jus de fruit, infusion...) et la matière grasse de la crème, à savoir le beurre ?

Le chocolat, aussi, aura pu être macéré ou infusé avec un produit qui lui aura donné son goût (une partie : la partie "hydrophobe"), tandis que le sucre pourra être oublié.

Bref, s'il s'agit de faire une émulsion de beurre de cacao, tout est possible à qui comprends les mécanismes.

Vive, donc, la gastronomie moléculaire !

jeudi 8 février 2018

Pourquoi Gibbs ?

Il y a déjà très longtemps, j'avais proposé une recette de "gibbs", une préparation que l'on obtient en fouettant de l'huile dans du blanc d'oeuf, afin de former une émulsion que j'ai nommée un "geoffroy", puis en chauffant cette émulsion au four à micro-ondes : en quelques secondes à dizaines de secondes, selon la puissance du four, on obtient un soufflé.

Pour le goût, il est évident qu'on aura assaisonné le blanc d'oeuf, et, de même, que l'on aura donné du goût à l'huile. Par exemple, on pourra avoir ajouté du sucre, une pincée de sel, un colorant, et l'huile pourra être une belle huile d'olive où l'on aura macéré de la vanille ou du café.  Et cette recette est encore plus facile à faire en version "note à note" : on part d'eau, on dissout divers composés, on ajoute des protéines thermocoagulables (par exemple, de la poudre de blanc d'oeuf), puis on termine la recette comme indiqué précédemment.

Le mécanisme physico-chimique ? D'abord les protéines stabilisent (relativement, toujours relativement, pour les émulsions) les gouttes d'huile dans la phase aqueuse, en se "dénaturant" : leurs parties hydrophobes viennent au contact de l'huile, et les parties hydrophiles restent dans la phase aqueuse. Puis la cuisson permet que les protéines "coagulent", qu'elles se lient par des liaisons disulfure, ce qui forme une matrice solide où l'émulsion est piégée : c'est cela, le gibbs, à savoir une émulsion gélifiée chimiquement.

Pourquoi le nom de Josiah Willard Gibbs ? 

Je l'ai donné quand j'ai commencé à donner des noms de chimistes ou de physiciens à des préparations que j'inventais : le personnage a été si important pour la physico-chimie qu'il fallait absolument qu'il ait un plat à son nom, mais il est vrai que l'attribution de son nom à ce plat particulier est un peu arbitraire. Non pas qu'elle soit usurpée : par exemple, Gibbs a effectivement publié un texte intitulé On the equilibrium of heterogeneous substances, dans les Transactions of the Connecticut Academy of Art and Sciences (vol 3, New Haven, 1874). Or l'émulsion nommée "geoffroy" prend de la stabilité (évolue vers l'équilibre, donc) quand elle est chauffée, formant manifestement un système hétérogène.

Et c'est ainsi que la chimie est belle !











Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)