dimanche 19 septembre 2010

A propos d'une question

Je reçois ce matin un message amical, intitulé "Brutale séduction (de la cuisine du XXIe siècle) après un long rejet fondé sur l'ignorance".

Mon correspondant m'écrit, parmi des compliments que je conserve pour moi :


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Découvert récemment après un repas sous un divin ciel étoilé à la Terraza del Casino (chef Paco Roncero) en tête à tête avec mon épouse ...et Madrid illuminée à nos pieds. La réussite gastronomique de cette soirée est comme vous le dites liée aux convives ...mais il nous est arrivé de manger beaucoup moins bien dans un décor aussi ...magnifique et romantique ...avec le même enthousiame de départ. Je songe au multi étoilé XXXXXXXX [je mets autant de X qu'il y a de lettres au nom de l'homme] qui nous a laissé un piètre souvenir en juin 2010 ...essentiellement par ce que je qualifierais de manque de " générosité "...

Nos sens de convives lambda fonctionnent à la milli seconde et ne sont en rien comparables à ceux d'inspecteurs Michelin... Ainsi votre ami, comparse et célèbre Gagnaire a perdu tout attrait pour ma femme et moi - malgré son génie - parce qu' un jour à la télé, il a décrété qu' il détestait la clientèle des médecins qui plus que d 'autres se permettait de critiquer sa cuisine, alors qu' elle n' y connaissait rien. Oui, ma femme, chirurgien ophtalmologiste et moi-même, chirurgien orthopédiste, estimons pouvoir dire que nous aimons ou non, tel repas ou tel plat. Nos patients ne se privent pas de juger ceux qui les soignent, sans la moindre compétence autre que celle glanée sur la toile.
Votre attitude de serviteur de la communauté, rémunéré essentiellement par le contribuable ( pour les 35 heures ! ) rassure .

Votre pub n'est pas nécessaire. Seules vos connaissances de plus en plus vastes, sont recherchées. Et la gastronomie "moléculaire" ou tout simplement créative est un délice.
Les clients sont de plus en plus blasés, mais les produits également de plus en plus maltraités et servis uniformément de par le vaste monde. Sauf pour la multitude des cuisines asiatiques ou les applications comme les vôtres de la science .
Les "espumas", ou baves de crapaud, si souvent insipides dans ma belgitude ou les saveurs de fèves de tonka servies sous toutes les formes du début à la fin du repas jusqu'à la nausée dans un célèbre resto au nord est de Namur symbolisaient la "cuisine moléculaire" comme la salade folle - non préparée chez les Troigros - était la "nouvelle cuisine " du XX-ième, sans l'être.

Bref, dès demain, nous nous mettons à rechercher au moins un de vos ouvrages et pourquoi pas suivre votre blog ;-)
A ce propos, "osons les oses" où vous nous conviez , ne semble pas indiquer les dates alors que la limite pour s' y inscrire est claire ....
Merci à Margaux qui porte un patronyme de chez nous si elle peut me renseigner .

Encore tous mes remerciements admiratifs .
Bon travail

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Evidemment, même si mon "nouvel ami" ne me demande aucun commentaire, j'ai fait, parce que je les crois nécessaires.

Si je peux me permettre, tout d'abord il ne faut juger d'un principe ni sur sa matérialisation réussie, ni sur sa matérialisation ratée, mais sur sa cohérence, par exemple. La cuisine moléculaire in toto n'est ni bonne ni mauvaise : elle est bonne quand elle est bien faite, et on juge alors le travail effectué, pas le principe ; et elle est mauvaise si elle est mal exécutée, et, là encore, ce n'est pas le principe que l'on juge, mais la réalisation. Donc tant mieux si le repas à Madrid a été bon, mais seul le cuisinier en est responsable, et ni la cuisine moléculaire, ni la gastronomie moléculaire.

D'autre part, la question de juger la cuisine est bien difficile parce qu'un sandwich avec des copains fait le meilleur repas de la terre, surtout si l'on a faim : D'Hunger isch s'beschte Koch, dit-on en Alsace. Inversement, un repas d'affaire avec des malhonnêtes est toujours une épreuve redoutable (j'ai fait l'expérience chez mon ami Pierre Gagnaire).

A propos de Pierre, je regrette bien qu'il se soit emporté un jour contre les médecins, mais il faut le prendre tel qu'il est : un artiste qui marche au coeur, à la sensibilité, et je le connais assez pour penser qu'il avait dû être "douché" dans la minute avant l'enregistrement télévisuel, parce que, en réalité, il ne déteste personne sauf les malhonnêtes.

A propos des mousses (que je me refuse absolument à nommer espumas, parce qu'il n'y a aucune raison à cela, d'autant qu'une "écume", c'"est une mousse faite d'impuretés), il y a -si je peux me permettre- la même faute que celle qui était reprochée à Pierre : c'est une généralisation trop rapide.
Le bleu est-il beau? Le do bémol est-il beau ? Une mousse est-elle bonne? Un blanc de volaille cuit sec est-il raté?
Je réponds que le bleu n'est beau que dans le contexte d'une oeuvre, que le do bémol n'a pas d'existence en soi, pas plus que le blanc de volaille sec ou que la mousse. Dans un plat très "liquide", il FAUT du blanc de volaille sec ; dans certains plats, il FAUT ce que vous nommez des baves de crapaud, tout comme dans certains tableaux, il faut du bleu, et que le do bémol s'impose artistiquement parfois.

Ces questions esthétiques sont discutées dans mon livre La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique, qui serait mon meilleur si le tout dernier n'était peut-être, dans un genre très différent (j'ose espérer que mes livres ne sont jamais les mêmes, quitte à passer pour "baroque"), encore supérieur.

Enfin, pour les rencontres Science, art et cuisine (la séance publique de restitution/remise des prix), elles ont lieu quand tout le monde a travaillé, soit vers le début de l'été.

Vive la gourmandise éclairée!

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